Liens connexes (R23D0108)
Yoan Marier, président du BST
Luc Régis, enquêteur principal régional
Ottawa (Ontario)
16 septembre 2025
Seul le texte prononcé fait foi.
Yoan Marier – Introduction
Bonjour à tous, et merci de vous joindre à nous.
Nous sommes ici aujourd’hui pour presenter les faits établis de notre enquête sur la collision et le déraillement en voie principale entre un movement haut-le-pied de la Compagnie des chemins de fer nationaux et un train de banlieue du Réseau de transport métropolitain survenus en 2023 à Montréal (Québec).
À la suite de cette enquête, nous réitérons une recommendation existante et nous émettons une nouvelle recommandation demandant à Transports Canada d’atténuer les risques associés aux équipes de train qui ne respectent pas les signaux ferroviaires.
Je cède maintenant la parole à M. Régis, qui vous relatera l'événement.
Luc Régis – Faits établis de l’enquête
Le 21 novembre 2023, le train 376 du CN circulait en direction sud sur la subdivision de St-Laurent lorsqu’il a percuté la queue d'un train de banlieue immobilisé, le train EXO 1212, à la gare de Saint-Léonard-Montréal-Nord. Quatre des 8 passagers ainsi que 2 membres de l’équipe à bord du train de banlieue d’EXO ont été blessés.
Avant la collision, le train du CN avait franchi un signal de marche à vue qui signifie que l’équipe devait être prête à arrêter pour un autre train dans le canton et limiter sa vitesse à 15 mi/h jusqu’au signal suivant.
Dans les opérations ferroviaires, les signaux fonctionnent en séquence, ce qui signifie que chaque signal donne une indication fondée sur ce que le signal suivant devrait afficher.
L’équipe du CN a probablement présumé que le canton dans lequel il entrait était libre et s’attendait à ce que le prochain signal soit permissif. En se fondant, on suppose, sur cette présomption, l’équipe n’a pas ralenti. Elle a plutôt accéléré jusqu'à 41 mi/h... soit 26 mi/h au-dessus de la limite.
Toutefois, ses attentes se sont avérées erronées.
En raison de l’éclairage ambiant de la gare et des signaux ferroviaires qui se trouvaient au-delà de celle-ci, les signaux de queue du train de banlieue EXO ne sont devenus visibles que lorsque la locomotive menante du CN ne s’en trouvait plus qu’à quelque 500 pieds. Le mécanicien de locomotive a effectué un freinage d’urgence; toutefois, à cette distance et cette vitesse, la collision était inévitable.
Notre enquête a permis de déterminer que même si les membres de l’équipe s’étaient annoncé les indications de signal entre eux, ils n’avaient pas respecté la limite de vitesse et n’avaient pas discuté de la restriction, comme l’exigent les procédures d’exploitation.
Lorsque les enquêteurs du BST ont examiné l’enregistreur audio et vidéo de la locomotive, ils ont constaté que les deux caméras à l’intérieur de la cabine avaient été intentionnellement obstruées par des feuilles de papier. Cela a nui à la capacité d’analyser pleinement ce qui se passait à l’intérieur de la cabine avant la collision.
Les enjeux de sécurité relevés dans cette enquête ne sont pas isolés—ils reflètent des vulnérabilités systémiques qui existent depuis longtemps dans le système de transport ferroviaire canadien et qui persistent depuis plus de deux décennies. Depuis 2023, le BST a lancé huit enquêtes sur des événements dans lesquels l’absence de protections physiques à sécurité intégrée supplémentaires a été un facteur.
Le présent événement constitue un autre exemple des risques encourus lorsqu’on ne prend aucune mesure pour protéger contre le non-respect des signaux.
Je cède la place à M. Marier, qui parlera de la recommandation du Bureau.
Yoan Marier – Conclusion
Depuis près de 25 ans, le BST demande la mise en œuvre des moyens de défense physiques à sécurité intégrée pour les trains exploités au Canada.
Ces défenses interviennent automatiquement pour ralentir ou arrêter un train lorsqu’une équipe ne réagit pas à une indication de signal. Ils peuvent également prévenir les déraillements dus à un excès de vitesse, les incursions dans les zones de travaux et le franchissement d’aiguillages en voie principale mal orientés.
Les États-Unis ont pris des mesures concrètes après une grave collision de trains en Californie en 2008, en exigeant un système de commande des trains physique à sécurité intégrée sur les routes où le danger est élevé. Les trains canadiens qui vont aux États-Unis doivent être équipés de manière à pouvoir fonctionner avec ce système.
Et pourtant, ici au Canada, l’industrie continue de compter exclusivement sur des moyens de défense administratifs comme les règlements, les instructions et les procédures, ce qui fait en sorte que la sécurité dépend de la performance humaine.
Sans de solides moyens de défense physiques, le risque de collisions demeure élevé et alarmant.
En 2000 et en 2013, le BST a émis des recommandations demandant à Transports Canada d’exiger des protections physiques à sécurité intégrée.
Ce n’est qu’en 2022 que Transports Canada a annoncé son intention d’exiger cette technologie, appelée commande des trains améliorée, dans les corridors les plus à risque du pays. Même s’il s’agit d’un pas dans la bonne direction, les progrès depuis ont été limités.
La même année, à la suite d’une collision en voie principale survenue en 2019 entre 2 trains du CN au Manitoba, le BST a formulé une recommandation demandant au ministère des Transports d'obliger les grands transporteurs ferroviaires canadiens à accélérer la mise en œuvre de méthodes physiques de commande des trains à sécurité intégrée dans les corridors ferroviaires à grande vitesse du Canada et sur tous les itinéraires clés [R22-04].
À ce jour, Transports Canada n’a pas encore achevé bon nombre des principales étapes, notamment des mesures essentielles comme l’exécution d’évaluation des risques sur les corridors.
C’est pourquoi nous sommes ici aujourd’hui pour souligner l’importance de cette recommandation. La fréquence des événements dans lesquels des équipes n’ont pas respecté les indications de signaux ne diminue pas; par conséquent, nous exhortons Transports Canada à prioriser le déploiement de ces moyens de défense essentiels.
Compte tenu de la complexité du travail qu’il reste à faire, la pleine mise en œuvre d’un système physique à sécurité intégrée prendra encore plusieurs années. Ce qui est plus inquiétant, toutefois, c’est qu’il n’y a aucune mesure de sécurité provisoire exigée par le gouvernement pendant le développement du système—ce qui laisse les trains exposés à des risques de collision ou de déraillement lorsque les autres moyens de défense, comme le respect des signaux, échouent.
Il s’agit d’une grave lacune de sécurité qui, dans le meilleur des cas, subsistera pendant plusieurs années, et qui ne peut être ignorée.
Par conséquent, le Bureau recommande que :
Transports Canada mette immédiatement en place des mesures provisoires supplémentaires pour pallier les risques liés au non-respect des indications des signaux ferroviaires par les équipes de train, tels que les collisions entre trains, jusqu’à la mise en œuvre de moyens de défense physiques à sécurité intégrée adéquats et permanents.
Recommandation R25-01 du BST
Yoan Marier - Conclusion
Cette collision s’est produite sur un itinéraire clé—où circulent quotidiennement à la fois des trains de voyageurs et des trains de marchandises transportant des marchandises dangereuses. Pourtant, aucun moyen de défense physique de réserve n’était en place pour l’empêcher. Les conséquences auraient pu être beaucoup plus dévastatrices. Cet incident est un rappel brutal des risques en jeu et du besoin urgent de meilleures protections.Nous ne pouvons pas continuer de nous appuyer exclusivement sur la performance humaine. Même s’il faudra plusieurs années pour mettre en œuvre un système physique à sécurité intégrée, les Canadiens ne peuvent plus se permettre d’attendre.
Merci.