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Communications de sécurité liées à l’enquête A18Q0030 Sortie en bout de piste à l’atterrissage survenue en février 2018 à Havre-Saint-Pierre (Québec)

L’événement

Le matin du 26 février 2018, un aéronef Beechcraft King Air A100 exploité par Strait Air (2000) Ltd. effectuait un vol selon les règles de vol aux instruments en provenance de Sept-Îles (Québec) à destination de Havre-Saint-Pierre (Québec), avec 2 membres d’équipage et 6 passagers à bord. Alors que les conditions de visibilité étaient réduites en raison de fortes averses de neige, l’aéronef a effectué une approche vers une piste enneigée, et s’est posé environ 3800 pieds après le seuil, soit à environ 700 pieds de l’extrémité de la piste. Il a continué sa course à l’atterrissage au-delà de la piste, pour finalement aller s’immobiliser dans un banc de neige, à environ 220 pieds au-delà de l’extrémité de la piste. L’appareil a subi des dommages importants. Il y a eu 4 blessés légers.

Recommandations formulées le 21 mai 2020

Lors de la conception des approches aux instruments, la visibilité minimale publiée représente la visibilité minimale à laquelle un pilote se trouvant à la hauteur de décision (DH) ou à l’altitude minimale de descente (MDA) en approche devrait être en mesure d’avoir en vue et de maintenir en vue la référence visuelle requise jusqu’à l’atterrissage.

Les normes et pratiques recommandées de l’Organisation de l’aviation civile internationale (OACI) stipulent qu’une approche aux instruments ne sera pas poursuivie à moins que la visibilité rapportée ne soit égale ou supérieure au minimum spécifié. Ce minimum est publié sur les cartes d’approche en fonction du type et du balisage d’approche.

Les diverses autorités de l’aviation civile dans le monde (comme la Federal Aviation Administration [FAA] aux États-Unis et l’Agence de l’Union européenne pour la sécurité aérienne [AESA]) ont établi que la visibilité minimale autorisée est celle spécifiée et publiée pour l’approche effectuée. Ainsi, pour déterminer si une approche est autorisée, il suffit de comparer la visibilité rapportée à la visibilité publiée sur la carte d’approche. Par conséquent, lorsque la visibilité rapportée est inférieure à la visibilité publiée sur la carte d’approche, le contrôle de la circulation aérienne (ATC) n’autorise pas un aéronef à effectuer l’approche.

Toutefois, au Canada, les visibilités publiées sur les cartes d’approche sont données à titre indicatif seulement.

Pour déterminer s’il est possible d’atterrir en toute légalité à un aérodrome au Canada, il faut d’abord vérifier les restrictions opérationnelles qui s’appliquent à l’aérodrome concerné pour s’assurer que cet aérodrome convient à la manœuvre à exécuter. Un des facteurs déterminants est la visibilité opérationnelle d’aérodrome, qui est définie dans la partie portant sur les minimums opérationnels de la section Généralités du volume 6 du Canada Air Pilot (CAP). Cette visibilité opérationnelle minimale est publiée dans le Supplément de vol – Canada (CFS), et plus précisément dans le champ réservé à l’information sur les pistes. Si la visibilité opérationnelle d’aérodrome n’est pas publiée dans le CFS, cela signifie que les opérations ne sont pas autorisées quand la visibilité est inférieure à ½ mille terrestre (SM).

Ensuite, il faut calculer la visibilité minimale de l’interdiction d’approche pour déterminer si l’approche peut être poursuivie jusqu’à la DH ou la MDA. Cette visibilité minimale est calculée à partir de la visibilité publiée sur la carte d’approche et varie en fonction du type d’exploitation comme suit :

Selon ce calcul, la visibilité minimale de l’interdiction d’approche au Canada est inférieure à la visibilité publiée sur la carte d’approche dans tous les cas. Par conséquent, il est probable, qu’une fois à la DH ou la MDA, les pilotes ne soient pas en mesure d’acquérir la référence visuelle requise, référence permettant d’effectuer un atterrissage sécuritaire.

Au Canada, en raison de la complexité et de la variation des minimums en fonction du type d’exploitation, l’ATC peut difficilement déterminer si l’approche prévue est interdite. Il autorise ainsi un aéronef à effectuer l’approche quels que soient les minimums publiés, contrairement à ce qui se fait ailleurs dans le monde. Par conséquent, il incombe au pilote d’interpréter l’interdiction d’approche, et à lui seul de décider s’il poursuit l’approche.

Dans l’événement à l’étude, selon son interprétation des nombreuses conditions et exceptions liées à l’interdiction d’approche, le commandant croyait à tort qu’il lui était permis d’effectuer l’approche. Le premier officier quant à lui était conscient que selon les conditions météorologiques, la visibilité était inférieure aux minimums de l’approche publiés dans le CAP, mais il ne comprenait pas tous les détails liés à l’interdiction d’approche. Par conséquent, il n’était pas en mesure de contester la décision du commandant d’effectuer l’approche.

Le service consultatif de vol et l’exploitant de l’aérodrome pouvant difficilement déterminer si l’approche était interdite, ils ne pouvaient pas aviser les pilotes que l’approche était interdite dans les conditions existantes, en dépit du fait que la visibilité était au quart de la visibilité publiée sur la carte d’approche.

Ainsi, si Transports Canada (TC) ne simplifie pas les minimums opérationnels d’approche et d’atterrissage, les équipages de conduite risquent de poursuivre une approche qui est en réalité interdite, ce qui augmente le risque d’accidents liés à l’approche et à l’atterrissage (ALA), dont les sorties en bout de piste.

Par conséquent, le Bureau recommande que

le ministère des Transports revoie et simplifie les minimums opérationnels pour les approches et les atterrissages aux aérodromes canadiens.
Recommandation A20-01 du BST

Dans l’événement à l’étude, l’interdiction d’approche en vigueur au Canada n’a pas empêché le commandant de poursuivre l’approche, alors que selon les conditions météorologiques, la visibilité était au tiers de la visibilité minimale de l’interdiction d’approche et au quart de la visibilité publiée sur la carte d’approche. Lors de l’approche, au moment où l’aéronef est arrivé à la MDA, il incombait au pilote, et à lui seul, de déterminer s’il avait acquis ou non la référence visuelle requise pour continuer la descente et l’atterrissage. Ainsi, il est raisonnable de conclure que l’interdiction d’approche a été inefficace pour stopper cette approche alors que la visibilité au sol était inférieure aux minimums relatifs à l’interdiction d’approche, ce qui a contribué à la sortie en bout de piste.

Comme le démontre cet accident, en l’absence de mécanisme pour stopper une approche qui est en réalité interdite, les pilotes peuvent choisir de poursuivre l’approche, ce qui augmente le risque d’ALA.

Par conséquent, le Bureau recommande que

le ministère des Transports instaure un mécanisme pour stopper les approches et les atterrissages qui sont en réalité interdits.
Recommandation A20-02 du BST

Préoccupation liée à la sécurité

Surveillance réglementaire de Transports Canada en matière de procédures d’utilisation normalisées

Depuis 2019, TC exige que les tous les exploitants aériens commerciaux assurent une formation en gestion des ressources de l’équipage (CRM) contemporaine. Cependant, bien que TC effectue des inspections régulières des exploitants, ces inspections se limitent généralement à la documentation des systèmes mis en place par la compagnie. Par exemple, dans l’événement à l’étude, les procédures d’utilisation normalisées (SOP) étaient conformes aux exigences du Règlement de l’aviation canadien (RAC) du point de vue de la forme. Toutefois, leur efficacité n’avait pas été évaluée par TC. Dans ce contexte, il est impossible d’évaluer l’efficacité de la formation, de la CRM, de la gestion des menaces et des erreurs (TEM) et de la prise de décision, et d’évaluer le degré d’application et de respect des SOP ainsi que leur efficacité à bord des aéronefs lors des opérations aériennes.

Les SOP ne sont pas seulement des lignes directrices entourant l’utilisation des aéronefs, elles sont reconnues mondialement comme étant à la base de la sécurité aérienne. Elles forment un cadre permettant la mise en application des concepts de CRM et de TEM. Ainsi, la Flight Safety Foundation (FSF) et la FAA ont émis plusieurs recommandations liées aux SOP pour réduire les risques d’ALA.

Entre 1999 et 2019, les SOP sont ressorties dans 113 faits établis quant aux causes, aux facteurs contributifs ou aux risques dans les rapports d’enquête sur la sécurité du transport aérien du BST. Les lacunes identifiées sont principalement liées à l’absence de directives précises, aux divergences dans les procédures et à la déviation par rapport aux procédures. Dans l’événement à l’étude, une déviation par rapport aux SOP à un moment critique du vol a été un élément déclencheur qui a contribué à la sortie en bout de piste.

Le Bureau craint que si TC ne fait pas la surveillance des opérations de vol pour évaluer l’efficacité de la CRM, de la TEM, de la prise de décision et des SOP, y compris leur degré d’application et de respect, ces SOP risquent d’être inefficaces, ce qui augmente le risque d’accident et en particulier le risque d’ALA.