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Au cœur de la tragédie : une journée dans la vie de l’enquêteur désigné pour l’enquête sur l’accident de Lac-Mégantic

ISSN 2369-8748

27 Octobre 2014
Signé par : Don Ross

Le 6 juillet 2013, aux premières heures du jour, je dormais encore paisiblement quand le téléphone a sonné. Travaillant dans le secteur de la sécurité des transports depuis près de 40 ans, j'avais l'habitude de me faire réveiller ainsi. Mais cette nuit-là, quand j'ai répondu, j'étais loin d'imaginer à quel point cet appel allait changer ma vie.

Dans le calme du quartier où j'habite, en Nouvelle-Écosse, j'ai entendu la voix professionnelle de Darlene Roosenboom, notre coordonnatrice de l'administration centrale qui était de garde à ce moment-là, m'informer de la gravité de la situation : déraillement de train grave, fumée très dense, marchandises dangereuses, ville en flammes, résidents évacués en grand nombre. Voilà en gros ce que je savais quand j'ai été envoyé sur place, mais d'heure en heure, d'autres renseignements nous parvenaient, et chacun prenait graduellement conscience de l'ampleur de la tragédie.

Une fois sur place, j'ai été saisi par l'inconnu qui s'étalait devant nous : plus d'une centaine de personnes manquaient à l'appel, et partout des incendies faisaient rage. Quand j'ai finalement pu prendre quelques heures de repos, je pouvais voir par la fenêtre de ma chambre de motel le centre-ville en flammes tandis que les questions et les réflexions sur la tâche qui nous attendait se bousculaient dans ma tête.

Nous devions nous organiser rapidement, et c'est ce que nous avons fait. J'avais avec moi une excellente équipe, qui nécessitait peu de direction. Étant donné la quantité de travail à accomplir, nous savions que nous allions passer beaucoup de temps sur les lieux. Nous avons commencé à examiner le site dès que nous l'avons pu, tout en collaborant avec les nombreuses organisations également sur place et en informant le public de ce que nous savions. Sur le plan émotif, le défi était énorme. Je crois qu'il est juste de dire que personne n'est jamais entièrement préparé à affronter ce genre de situation.

Don Ross qui répond aux questions
des médias à Lac-Mégantic
Image de Don Ross qui répond aux questions des médias à Lac-Mégantic

Au fil des jours, nous avons tous été ébranlés par les heures interminables de travail, la difficulté de la tâche, le stress, la chaleur et l'émotion. Chaque jour que nous passions là-bas, nous étions entourés de gens qui avaient perdu un proche, que ce soit la femme de chambre du motel, la serveuse du restaurant, les pompiers qui aidaient sur place, et combien d'autres. Chacun a géré la situation du mieux qu'il le pouvait, et le BST a fourni une aide psychologique à tous les membres de l'équipe sur place.

L'un des moments les plus émouvants pour moi a été la cérémonie de commémoration qui a eu lieu à l'église, lors de laquelle je me tenais à l'extérieur, sur le trottoir, en compagnie de plusieurs membres de l'équipe. Après le service religieux, j'ai regardé passer la procession formée par les gens qui sortaient de l'église et qui se rendaient au centre sportif où une petite réception avait été organisée. Une fleur avait été remise à chacune des familles des victimes. Et pendant que j'étais là, au milieu de mes collègues, toutes ces familles, sans exception, m'ont regardé dans les yeux et m'ont remercié du regard ou ont dévié de leur chemin pour venir me serrer la main personnellement et me dire merci. Certaines m'ont dit qu'elles nous « faisaient confiance ». Le contact entre nous a été très fort. Alors que nous étions tous vidés émotivement, cette reconnaissance nous a redonné l'énergie et la motivation dont nous avions besoin pour terminer notre tâche. C'était pour ces gens que nous faisions notre travail, et ils comptaient sur nous.

Après avoir passé environ un mois sur place à recueillir des renseignements et des preuves, à mener quantité d'entrevues et à effectuer d'innombrables tests dans la région, y compris à plusieurs endroits dans le Maine, l'équipe est retournée à Ottawa pour poursuivre son enquête. De nombreux objets ont été rapportés à notre laboratoire : essieux montés, semelles de frein, consignateur d'événements de locomotive, morceaux de rail, échantillons de pétrole brut, etc. Bien sûr, d'autres tests, d'autres entrevues et d'autres analyses ont encore été faits à l'extérieur de nos bureaux, et notamment à Farnham, à Montréal et à Saint John, au cours des mois qui ont suivi.

Don Ross lors de
la conférence de presse
organisée pour la publication
du rapport d’enquête final
Image de Don Ross lors de la conférence de presse organisée pour la publication du rapport d’enquête final

En ce qui concerne le rapport, l'ampleur et la complexité de l'enquête exigeaient une approche différente de celle que nos adoptons habituellement pour des enquêtes sur des événements ferroviaires. À l'évidence, la production de ce rapport de 219 pages et des quelque 25 rapports techniques connexes a nécessité un travail considérable, tant pour ce qui est du contenu que de la révision technique, de la correction et de la traduction. Il a aussi fallu beaucoup de travail pour réunir tous les faits et résultats et veiller à ce que le rapport final traite non seulement des causes et des facteurs contributifs, mais également de toutes les questions de sécurité.

Les membres de notre équipe ont fait de nombreux sacrifices personnels au cours de la dernière année, et je suis très fier d'eux et du travail qu'ils ont accompli. C'est pour moi un honneur et un privilège de les avoir dirigés au cours de cette enquête. Et maintenant que la poussière commence à retomber, je suis heureux d'être de retour à Halifax auprès de ma très chère (et patiente!) épouse, Caroline, qui m'a soutenu tout au long de cette enquête. Elle aussi a fait les frais de cette tragédie, puisque j'ai été absent de la maison pendant un peu plus d'un an et que j'ai raté nos deux derniers anniversaires de mariage.

Je sais que cette enquête marquera un tournant dans le secteur des transports et que de nombreuses améliorations en matière de sécurité en découleront. Assurément, les leçons de sécurité tirées de la tragédie de Lac-Mégantic et le travail de l'équipe du BST ne sont pas près d'être oubliés.


Image de Don Ross

Don Ross est un enquêteur principal, rail/pipeline, pour la région de l’Atlantique. Il détient une certification de consultant en santé et en sécurité, et est membre professionnel de la Société canadienne de la santé et de la sécurité au travail. Il est marié et il a 3 enfants, ainsi que 6 petits-enfants. Il aime passer du temps avec sa famille à son chalet situé au Cap Breton, et il s’intéresse à la généalogie dans ses temps libres.