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Rapport d'enquête ferroviaire R05Q0010

Déraillement en voie principale
du train M-307-11-22
exploité par le Canadien National
au point milliaire 86,41
de la subdivision Drummondville
à Saint-Cyrille (Québec)



Le Bureau de la sécurité des transports du Canada (BST) a enquêté sur cet événement dans le but de promouvoir la sécurité des transports. Le Bureau n’est pas habilité à attribuer ni à déterminer les responsabilités civiles ou pénales. Le présent rapport n’est pas créé pour être utilisé dans le contexte d’une procédure judiciaire, disciplinaire ou autre. Voir Propriété et utilisation du contenu.

Résumé

Le 23 février 2005, à 20 h 45, heure normale de l'Est, le train de marchandises M-307-11-22 du Canadien National circulait en direction ouest vers Montréal (Québec) lorsque 29 wagons ont déraillé au point milliaire 86,41 de la subdivision Drummondville, près de Saint-Cyrille (Québec). La voie a été détruite sur une distance d'environ 600 pieds et a été endommagée sur une distance d'environ 4000 pieds. Vingt-huit wagons ont été détruits et un wagon a été légèrement endommagé. Un wagon-citerne contenant du propane (UN 1075) a pris feu et a explosé, endommageant une meunerie adjacente à l'emprise ferroviaire. Vingt personnes ont été évacuées par mesure de précaution. Personne n'a été blessé.

This report is also available in English.

Renseignements de base

Renseignements sur l'exploitation du train

Le 23 février 2005, le train de marchandises M-307-11-22 (le train) du Canadien National (CN) en provenance de Dartmouth (Nouvelle-Écosse) quitte le triage de Joffre (Québec) à destination de Toronto (Ontario). Il mesure 5935 pieds, pèse 6898 tonnes et compte 2 locomotives, 44 wagons chargés et 45 wagons vides, incluant des wagons-citernes contenant du chlore, du propane et des liquides inflammables. L'équipe de train se compose d'un mécanicien et d'un chef de train. Tous deux connaissent bien les caractéristiques du trajet, répondent aux exigences de leurs postes respectifs et satisfont aux exigences en matière de repos et de condition physique.

Le parcours en direction ouest vers Montréal (Québec) se déroule normalement jusqu'au point milliaire 87,30 près de Saint-Cyrille (Québec) (voir la figure 1) où un freinage intempestif se déclenche alors que le train circule à une vitesse de 48 mi/h. Une déflagration a lieu et une boule de feu survient vers l'arrière du train. L'avant du train s'immobilise à environ 2000 pieds à l'ouest du passage à niveau du 10e Rang (point milliaire 87,38). Après avoir pris les mesures d'urgence, l'équipe du train suit les instructions fournies par le contrôleur de la circulation ferroviaire (CCF), dételle les locomotives et s'éloigne des lieux de l'accident. La neige recouvre le sol, il y a un léger couvert nuageux et la température est de -20,6 °C.

Figure 1. Carte du secteur du déraillement (Source : Atlas des chemins de fer canadiens, Association des chemins de fer du Canada)
Carte du secteur du déraillement

La zone du déraillement couvre une distance de 5000 pieds et est située à l'ouest du passage à niveau du chemin Mitchell (point milliaire 86,41). Le premier wagon déraillé, le wagon-tombereau WC 65061, le cinquième wagon du train, reste attelé à l'avant du train. Les 27 wagons suivants se détachent du train et s'empilent au sud de la voie principale sur la voie de service et le terrain de la meunerie Camirand, entre l'aiguillage (point milliaire 87,25) et le passage à niveau du 10e Rang. Le dernier wagon déraillé reste debout sur l'emprise avec le bogie menant déraillé.

Le wagon WC 65061 est immédiatement suivi de trois autres wagons chargés de ferraille puis des wagons-citernes CGTX 64270 et GATX 9200 qui contiennent du propane ainsi que du wagon-citerne PROX 83006 qui contient du chlore. Le wagon-citerne CGTX 64270 prend feu et explose, endommageant la meunerie, qui est déserte au moment de l'accident (voir la photo 1). Le wagon GATX 9200 et le wagon PROX 83006 sont lourdement endommagés et touchés par le feu, mais ne perdent pas leur chargement. Les autres wagons contenant des marchandises dangereuses (hydrocarbures, UN 1863) sont parmi les derniers à dérailler; ils subissent des dommages mais ne sont pas touchés par le feu et ne perdent pas leur chargement.

Photo 1. Façade endommagée de la meunerie (photo prise deux mois après l'accident)
Façade endommagée de la meunerie

Au point milliaire 85,55, des marques d'impact étaient visibles sur le champignon du rail sud. À quelques pieds plus à l'ouest, le rail sud était brisé, un morceau de roue de wagon a été trouvé à terre entre les rails et trois autres morceaux ont été trouvés sous la neige dans les fossés. Des traces d'impact et des entailles profondes ont été notées sur l'asphalte de la plate-forme du passage à niveau du chemin Mitchell, du côté sud de la voie. Les marques se prolongeaient jusqu'à l'empilement des wagons.

L'examen des wagons déraillés a révélé que le wagon WC 65061 avait perdu son bogie mené. Le bogie du wagon se trouvait immédiatement à l'ouest de l'empilement des wagons déraillés. La toile de la roue L2Note de bas de page 1 était fracturée, une partie de la toile étant restée attachée à l'essieu alors que la jante s'est rompue en trois segments principaux d'égale longueur et un petit fragment (voir la photo 2).

Photo 2. Essieu LR2 et morceaux de la roue L2
Essieu LR2 et morceaux de la roue L2

La subdivision Drummondville est une voie principale simple qui s'étend depuis Saint-Romuald (Québec), au point milliaire 4,4, jusqu'à Sainte-Rosalie (Québec), au point milliaire 125,1. Il y circule jusqu'à 10 trains de voyageurs de VIA Rail Canada Inc. et 18 trains de marchandises par jour. Le mouvement des trains est régi par la commande centralisée de la circulation en vertu du Règlement d'exploitation ferroviaire du Canada (REF) et est surveillé par un CCF posté à Montréal.

Dans la zone du déraillement, la voie était de catégorie 5, conformément au Règlement sur la sécurité de la voie (RSV) approuvé par Transports Canada. La vitesse de zone maximale permise était de 95 mi/h pour les trains de voyageurs et de 65 mi/h pour les trains de marchandises.

Lieu de l'accident

La voie est en alignement droit entre les points milliaires 85,7 et 86,2, puis en courbe (deux degrés à gauche) jusqu'au point milliaire 86,6. Elle présente une pente ascendante, variant entre 0,0 % et 0,2 %. La voie était en bon état et était constituée de longs rails soudés de 136 livres posés sur des selles de rail à double épaulement de 14 pouces reposant sur des traverses de bois dur.

La dernière inspection de la voie avait été effectuée par le superviseur adjoint de la voie à bord d'un véhicule rail-route la veille du déraillement. Dans la zone immédiate du déraillement, aucune anomalie n'a été notée.

Mesures d'urgence

Les responsables de la sécurité publique de la municipalité de Notre-Dame-du-Bon-Conseil ont été alertés immédiatement après l'accident et ont déclenché le plan des mesures d'urgence. En raison du feu et des marchandises dangereuses contenues dans les autres wagons-citernes, la zone de l'accident a été fermée dans un rayon d'un kilomètre et une vingtaine de personnes ont été évacuées par mesure de précaution. Le contenu de tous les wagons-citernes déraillés a été transbordé dans des camions et d'autres wagons-citernes. L'interdiction de l'accès a été levée après le transbordement du wagon de chlore.

Cheminement et réparations du wagon WC 65061

Le wagon WC 65061 était muni de huit sabots de frein de deux pouces d'épaisseur ayant une durée de vie utile moyenne de 12 mois dans des conditions normales d'exploitation. Le wagon a subi de nombreuses réparations, particulièrement à son système de freinage. Toutes les réparations ont été saisies dans le système informatique SAP. L'historique de toutes les données récentes (moins de 24 mois) peut être consulté à loisir dans tout atelier de réparation, mais le système ne génère pas d'alerte automatique lorsque des conditions récurrentes se manifestent. Les réparations suivantes ont été effectuées sur le wagon WC 65061 depuis janvier 2004 :

Le Règlement concernant l'inspection et la sécurité des wagons de marchandises permet qu'un wagon présentant une défectuosité relative à la sécurité soit acheminé jusqu'à un autre endroit pour y être réparé pourvu qu'il puisse être acheminé sans danger et que la nature des défectuosités ainsi que les restrictions applicables au mouvement du wagon soient communiquées aux employés concernés.

Lecture des détecteurs en voie

En plus des inspections par le personnel, l'état du matériel roulant est également vérifié à l'aide d'un réseau de systèmes de détection en voie (SDV) et de détecteurs de défauts de roues (DDR) placé le long des voies. Les SDV comprennent des détecteurs de pièces traînantes et des détecteurs de boîtes et de roues chaudes. Les DDR permettent de mesurer la charge d'impact générée par chaque roue d'un wagon et ainsi d'identifier les roues ayant des méplats, les roues dont la table de roulement est écaillée, exfoliée, excentrée ou affectée par un excédent de métal. Les SDV sont placés à des intervalles compris entre 10 et 15 milles sur les voies principales alors que les DDR ont été placés à certains endroits stratégiques.

Sur son parcours depuis Halifax, le train est passé par plusieurs SDV, le dernier étant au point milliaire 82,1 de la subdivision Drummondville, à cinq milles à l'est du lieu de l'accident. Aucune anomalie n'y a été signalée. Le train n'est pas passé sur des DDR, car le seul DDR installé entre Montréal et Halifax est situé près de Bagot (Québec), au point milliaire 117,2 de la subdivision Drummondville, soit à environ 25 milles à l'ouest du lieu de l'accident. Cependant, l'examen des données historiques des DDR sur lesquels le wagon est passé durant l'année précédent l'accident et plus particulièrement la dernière lecture du DDR de Bagot (lorsque le wagon a été acheminé de Taschereau vers Cantor le 12 février 2005) n'a pas montré de différence notable entre la charge d'impact de la roue L2 et des autres roues du wagon. Les 10 dernières lectures de charges d'impact de la roue L2 du wagon varient entre 26 kipsNote de bas de page 2 et 83 kips, ce qui est en dessous du seuil minimal de 100 kips fixé par le CN.

Rapport du Laboratoire technique

L'essieu monté, comprenant la roue cassée, les quatre fragments de jante de roue récupérés ainsi que les distributeurs des freins du wagon-tombereau WC 65061, a été envoyé au Laboratoire technique du BST pour fins d'analyse (rapports techniques LP 027/2005 et LP 043/2005).

La roue rompue était une roue de 33 pouces à toile courbe de catégorie U (modèle CM 33) conçue pour une capacité de 50 tonnes. Les roues de cette catégorie ne sont plus fabriquées et sont remplacées progressivement par des roues de catégorie C ayant une capacité de 100 tonnes. La roue a été fabriquée en janvier 1987 dans les installations d'ABC Rail (auparavant Abex Southern Corporation) à Calera (Alabama), aux États-Unis (code SO). Les roues de ce type sont moulées et refroidies lentement, et ne subissent aucun traitement thermique.

La roue était ovalisée et sa table de roulement présentait un méplat et avait subi, sur une longueur de 22 pouces (voir la photo 3), un écrasement de 0,38 pouce et une déformation plastique qui atteignait jusqu'à un pouce environ (la largeur de la table passant d'une valeur nominale de 5,72 pouces à 6,75 pouces).

Elle présentait aussi des écaillages dans la zone déformée, mais ces écaillages ne dépassaient pas les limites admissibles de l'AAR. La roue opposée de l'essieu comportait également une déformation plastique d'une largeur d'environ 0,23 pouce et d'une longueur de 5,5 pouces. Il n'y avait aucun signe de décoloration ou de brûlure observé sur la table de roulement des roues (voir la photo 3).

Photo 3. Déformation plastique de la table de roulement de la roue L2
Déformation plastique de la table de roulement de la roue L2

Comme la roue était brisée en plusieurs morceaux, il n'a pas été possible de mesurer son excentration. Cependant, si on assimile l'écrasement de la roue (0,38 pouce) à une excentration, alors on pourrait estimer le niveau des charges d'impact occasionnées par la roue L2 en se référant à une étude réalisée en 1994-1995 par le CN. Selon cette étude, qui établit une corrélation entre les données de DDR et les mesures d'excentration, la charge d'impact générée par une excentration de 0,38 pouce serait supérieure à 200 kips.

L'analyse métallurgique d'échantillons de la toile de roue a révélé la présence de microporosité causée par les bulles d'hydrogène dissous emprisonnées lors de la fabrication de la roue. Les vides étaient disséminés sur l'ensemble de la surface de la toile de roue. Le niveau de porosité, relativement faible, n'était pas décelable à l'aide de matériel de détection conventionnel utilisé lors des essais non destructifs. Le niveau de porosité n'aurait pas causé le rejet de la roue car la porosité n'est pas normalisée dans l'industrie. Trois fissures de fatigue de 10 mm à 15 mm de longueur situées dans la partie extérieure de la toile de roue se sont propagées à partir des vides.

Le matériau avait un niveau de carbone de 0,66 % et une dureté Brinell de 248. En comparaison, les roues de catégorie C ont une dureté se situant entre 321 et 363; elles sont par conséquent moins malléables et ont une meilleure résistance à l'usure.

Le wagon WC 65061 était équipé d'un distributeur de freinage de type ABD. La partie freinage gradué a été fabriquée en 1968 et a été entretenue et remise en état en 1997 alors que la partie freinage d'urgence a été fabriquée en 1969 et n'a jamais été entretenue depuis cette date.

Les sections du distributeur ont été mises à l'essai sur un banc d'essai des freins automatiques approuvé par l'AAR, dans un atelier autorisé de freins à air. Il n'a pas été possible de soumettre la partie freinage gradué à des essais à cause d'une fuite d'air dans une pièce endommagée lors du déraillement. Cependant, les parties internes étaient détériorées, mais elles n'avaient aucun défaut et étaient en bon état de fonctionnement.

La partie freinage d'urgence a fonctionné durant les essais, mais son rendement était inférieur aux normes de rendement requises. Elle n'a pas réussi quatre essais au banc d'essai et a été démontée pour être analysée. L'analyse a révélé un mauvais fonctionnement du diaphragme et du tiroir de haute pression dû à la détérioration des matériaux après 36 ans d'usage.

La valve retardatrice a réussi les essais. Cependant, des fuites d'air ont été décelées sur le pourtour de la surface de contact des deux parties formant la pièce. Les fuites étaient causées par la corrosion du métal et par la détérioration et la contamination du diaphragme de caoutchouc.

Analyse

L'exploitation du train était conforme aux procédures de la compagnie et aux normes de sécurité du gouvernement. La voie était en bon état et aucune anomalie n'y a été notée lors de la dernière inspection. Comme les fragments de roue trouvés à l'est de l'empilement des wagons déraillés concordaient avec la toile de la roue L2 du wagon-tombereau WC 65061, l'analyse se concentrera principalement sur la rupture de cette roue, les pratiques connexes d'inspection et d'entretien des wagons et les DDR.

Quelques pieds avant l'endroit où le rail sud s'est rompu, des traces d'impact étaient visibles sur le champignon du rail et les fragments de la roue L2 ont été trouvés un peu plus à l'ouest. Par conséquent, la rupture de la roue s'est produite à l'endroit où ces marques d'impact ont été observées, soit au voisinage du point milliaire 85,55. N'ayant plus de soutien, le longeron de bogie du côté sud s'est affaissé et a percuté la plate-forme du passage à niveau du chemin Mitchell, causant le déraillement de la roue R2. Le bogie a continué à traîner jusqu'à l'aiguillage de la voie de service de la meunerie. À l'aiguillage, il a bifurqué vers le sud, causant le déraillement des wagons suivants. Le wagon-citerne CGTX 64270 a été perforé, permettant au propane de s'échapper et de s'enflammer, endommageant de la meunerie.

Les roues de catégorie U, comme la roue L2, ont une capacité moindre que les roues de catégorie C qui ont été appelées à les remplacer. Leur acier, n'ayant pas reçu de traitement thermique, est par conséquent moins dur et plus déformable. L'ovalisation de la roue et la déformation plastique de la table de roulement illustrent cet aspect et démontrent que la roue L2 a été soumise à des contraintes excessives occasionnées par des charges d'impact. Ces charges d'impact s'amplifient à chaque rotation de roue par la déformation qu'elles-mêmes génèrent.

L'effet des charges d'impact amplifiées par la déformation plastique de la roue, la basse température ambiante et la porosité observée dans la toile de roue ont favorisé la naissance et la propagation des fissures qui ont entraîné la rupture de la roue du wagon WC 65061.

Même s'il n'a pas été possible de soumettre la partie freinage gradué du distributeur de freinage à des essais sur un banc d'essai des freins automatiques à cause des dommages externes subis lors du déraillement, rien n'indiquait qu'elle n'était pas en bon état de fonctionnement car il n'y avait aucun défaut apparent.

Bien que la partie freinage d'urgence ait fonctionné durant les essais, son rendement était inférieur aux normes de rendement en vigueur et elle n'a pas réussi tous les essais requis au banc d'essai. De plus, ses pièces internes étaient détériorées car elle n'avait pas été entretenue depuis 1969. Vu l'état de détérioration des pièces internes, il est possible que la partie freinage d'urgence fonctionnait par intermittence, ce qui pourrait expliquer la raison pour laquelle le wagon WC 65061 a réussi l'essai de wagon individuel.

L'impact du fonctionnement intermittent de la partie freinage d'urgence lors d'un relâchement du freinage de service n'a pu être déterminé. Cependant, depuis janvier 2004, 20 sabots de frein ont été installés sur le wagon WC 65061 dont 8 (incluant 4 sur l'essieu LR2) durant les trois semaines immédiatement avant l'accident. Ce nombre est anormalement élevé et est symptomatique d'un mauvais fonctionnement du système de freinage ou de l'ovalisation des roues car la durée de vie utile moyenne d'un sabot de frein est de 12 mois dans des conditions normales d'exploitation. Toutes les réparations aux sabots de frein et à la timonerie du wagon WC 65061 ont été saisies dans le système informatique SAP. Cependant, étant donné que le système ne disposait pas d'un mécanisme d'alerte automatique, le nombre anormalement élevé de sabots de frein installés sur le wagon dans les 13 mois avant l'accident est passé inaperçu. L'absence d'un système de signalisation automatique relié au système informatique SAP n'a pas permis d'alerter les équipes de réparation et d'isoler le wagon WC 65061 afin de prendre les mesures correctives qui s'imposaient.

Quatre sabots de frein dont deux à la position LR2 et le triangle de frein LR2 ont été remplacés sur le wagon au triage Taschereau le 2 février 2005. Le wagon est ensuite passé à Bagot sans qu'aucune différence notable dans les lectures du DDR n'ait été notée entre la roue L2 et les autres roues. Par conséquent, il y a lieu de penser que la déformation de la roue L2 n'avait pas atteint un stade décelable lors du passage à Bagot et qu'elle a progressé sur le tronçon entre Bagot et Cantor. Comme le wagon n'était pas chargé, la détérioration de la déformation initiale de la roue pouvait difficilement provenir de contraintes excessives entre Bagot et Cantor. Cependant, elle aurait pu être favorisée par le frottement intermittent des sabots de frein en raison du mauvais fonctionnement du système de freinage car les sabots installés quelques jours auparavant à Taschereau ont été de nouveau remplacés à Cantor.

L'enquête n'a pu établir de lien entre l'usure prématurée des sabots de frein et la déformation de la roue L2 car la table de roulement de la roue ne présentait pas de marques de brûlure ou une décoloration, ni de modification de la structure interne du métal. Cependant, l'usure prématurée des sabots n'aurait pas pu se faire sans frottement excessif entre les sabots et les roues. L'absence de traces de frottement, surtout si celui-ci était intermittent, pourrait s'expliquer par les conditions météorologiques (neige tourbillonnante) et la basse température ambiante qui auraient maintenu le métal à une température faible.

Lors du désattelage du train 306 à Cantor, le chef de train a signalé au CCF que le wagon WC 65061 avait une roue qui cognait sur le rail, sans en préciser la position exacte. La défectuosité a donc été décelée initialement par le bruit que générait la roue en mouvement. Le wagon a été par la suite examiné à deux reprises et réparé par des inspecteurs accrédités de matériel remorqué à Cantor, puis sur la voie de réparation de Moncton. Cependant, comme la position exacte de la roue défectueuse n'était pas connue, les deux examens ont mis l'accent sur le système de freinage et l'écaillage de la roue R4, qui semble avoir été confondue avec la défectuosité signalée au CCF; par conséquent, cette dernière n'a pas été rectifiée.

Lors de l'essai de continuité au triage de Joffre, l'état des sabots de frein du wagon WC 65061 a été remarqué, mais comme toutes les composantes du wagon n'ont pas été inspectées, l'état de la table de roulement de la roue L2 n'a pas été noté. Lorsque les valves de commande de freins ont été isolées, l'état du wagon a été jugé sûr et le wagon a donc été autorisé à continuer son trajet jusqu'à sa destination finale pour y être déchargé et réparé tel qu'autorisé par le Règlement concernant l'inspection et la sécurité des wagons de marchandises.

Bien que les inspections et les réparations sur le wagon WC 65061 ont été effectuées par des inspecteurs accrédités de matériel remorqué ayant une vaste expérience, elles n'ont pas permis de déceler la déformation de la table de roulement de la roue L2. Toutes les inspections, mise à part celle effectuée par le chef de train à Cantor, ont été faites lorsque le wagon était stationnaire. Il est donc probable que la défectuosité de la roue n'était pas très prononcée et n'était décelable qu'au bruit qu'elle générait lorsqu'elle était en mouvement.

Les trains provenant de l'est du Canada peuvent parcourir de longues distances avant que les charges d'impact des roues ne soient mesurées par un système de DDR. Par exemple, les trains en provenance de Halifax franchissent une distance de plus de 700 milles avant de passer sur le premier DDR situé à Bagot. Dans ces conditions, le risque de non-détection des ovalisations, des écaillages et des autres défauts de roues, qui n'ont pas encore pris beaucoup d'ampleur ou qui sont difficilement décelables au moment de l'inspection de sécurité, s'en trouve accru, de sorte qu'il peut se produire des charges d'impact élevées susceptibles d'entraîner des effets nuisibles pour les rails ou le matériel. Étant donné la gravité de la déformation plastique de la roue L2 et donc l'impact qu'elle devait générer, la présence d'un DDR sur le parcours du wagon entre Truro et Québec aurait probablement permis de détecter l'état de la roue et d'éviter l'accident.

Faits établis

Faits établis quant aux causes et aux facteurs contributifs

  1. Le train a déraillé à la suite de la rupture de la roue L2 du wagon WC 65061.
  2. L'effet des charges d'impact, amplifiées par la déformation plastique de la roue, la basse température ambiante et la porosité observée dans la toile de roue ont favorisé la naissance et la propagation des fissures qui ont entraîné la rupture de la roue.
  3. La roue L2, étant de catégorie U, avait donc une capacité moindre que les roues de catégorie C, son acier était moins dur et plus susceptible de se déformer; d'où la gravité de la déformation plastique observée sur la roue.
  4. L'état de la roue L2 a été signalé au contrôleur de la circulation ferroviaire (CCF) par le chef de train du train 306 mais les mesures de sécurité entreprises n'ont pas parvenu à rectifier la défectuosité.
  5. Bien que les inspections et les réparations sur le wagon WC 65061 ont été effectuées par des inspecteurs accrédités de matériel remorqué ayant une vaste expérience, elles n'ont pas permis de déceler la déformation de la table de roulement de la roue L2.
  6. Contrairement à l'inspection faite par le chef de train à Cantor, les autres inspections effectuées par les inspecteurs accrédités ont été faites lorsque le wagon était stationnaire. Il est donc probable que la défectuosité de la roue n'était pas très prononcée et n'était décelable qu'au bruit qu'elle générait lorsqu'elle était en mouvement.

Faits établis quant aux risques

  1. Sans détecteur de défauts de roues (DDR) entre Halifax et Québec, les trains provenant de l'est du Canada peuvent parcourir de longues distances avant que les charges d'impact des roues ne soient mesurées; le risque de non-détection des défauts de roue qui sont difficilement décelables au moment de l'inspection de sécurité s'en trouve accru.
  2. L'absence d'un système de signalisation automatique relié au système informatique SAP ne permet pas d'alerter les équipes de réparation et d'isoler un wagon ayant des défauts récurrents.

Autres faits établis

  1. Malgré l'état de détérioration des pièces internes, le wagon WC 65061 a réussi l'essai de wagon individuel, probablement parce que la partie freinage d'urgence devait fonctionner par intermittence.
  2. L'absence de traces de frottement sur la surface de roulement de la roue L2 pourrait s'expliquer par l'intermittence du fonctionnement du système de frein et par les conditions météorologiques.

Mesures de sécurité prises

Le 25 février 2005, le Canadien National (CN) a émis une politique, entrant en vigueur immédiatement, exigeant que les wagons ayant des défectuosités affectant les appareils de sécurité, les freins, les attelages, les caisses et les bogies (code AA à code VZ) soient inspectés pour assurer qu'ils peuvent être acheminés sans danger jusqu'à un endroit où sont stationnés des wagonniers. Les wagons devront alors y être réparés avant d'être autorisés à poursuivre leur chemin. De plus, seul un personnel restreint est autorisé à entrer le code mécanique indiquant qu'un wagon peut être acheminé sans danger jusqu'à sa destination finale et y être réparé.

Selon le dépliant intitulé Inspection des wagons de marchandises - points-clés, révision de juillet 2005, la politique du CN est d'assurer que le système de freinage de tous les wagons d'un train est en bon état de fonctionnement à la gare d'origine.

Le personnel du matériel roulant a suivi des cours de recyclage sur l'inspection des wagons et les essais de frein à l'aide du dispositif d'essai pour wagon individuel.

Le CN a émis des directives pour instaurer des inspections au défilé à l'arrivée et au départ des lieux désignés d'inspection de sécurité ainsi qu'à d'autres endroits stratégiques.

Le CN a lancé un projet pour mettre sur pied un système d'alerte automatique visant à identifier les wagons ayant des défauts récurrents et à alerter les ateliers de réparation afin d'isoler les wagons défectueux et de prendre les mesures correctives qui s'imposent. La première phase du projet se concentre sur les défauts relatifs au système de freinage des wagons.

La règle 41 (section A-2k) du Field Manual of the AAR Interchange Rules de l'Association of American Railroads (AAR) a été modifiée en 2006. Les roues ayant des charges d'impact de 80 kips à 90 kips seront traitées comme étant défectueuses lorsque les wagons sont acheminés sur des voies de réparations. De plus, l'Equipment Health Management System approuvé par l'industrie ferroviaire considère qu'il y a lieu d'intervenir sur des roues ayant une charge d'impact supérieure à 65 kips (règle 14, section E-15).

Le CN a mis en vigueur un vaste programme visant à réduire le nombre de roues du code SO sur son réseau.

Préoccupations liées à la sécurité

Les trains circulant dans l'est du Canada peuvent parcourir de longues distances avant que les charges d'impact des roues ne soient mesurées par un détecteur de défauts de roues (DDR). Par exemple, les trains en provenance de Halifax franchissent une distance de plus de 700 milles avant de passer sur le premier DDR situé à Bagot. Étant donné que, lors d'un parcours antérieur, l'impact généré par la roue du wagon WC 65061 s'élevait déjà à 83 kips et que son écrasement, tel que mesuré après l'accident, devait générer un impact d'au moins 200 kips, il y a lieu de croire que la présence d'un DDR sur le parcours du wagon entre Truro et Québec aurait permis de suivre l'évolution de l'état de la roue et probablement d'éviter l'accident.

En l'absence de DDR, les inspections par des inspecteurs accrédités de matériel remorqué deviennent un outil de sécurité de premier plan dans l'identification des wagons défectueux. Cependant, ces inspections, même lorsqu'elles sont effectuées par des inspecteurs accrédités expérimentés, ont des limites, tel que démontré lors de cet accident. Par conséquent, le risque de non-détection des ovalisations, des écaillages et des autres défauts de roues, qui n'ont pas encore pris beaucoup d'ampleur ou qui sont difficilement décelables au moment de l'inspection de sécurité, s'en trouve accru, de sorte qu'il peut se produire des charges d'impact élevées susceptibles d'entraîner des effets nuisibles pour les rails ou le matériel.

Le Bureau reconnaît que l'instauration d'inspections au défilé et l'entrée en vigueur de la nouvelle règle 41 de l'AAR sont des mesures susceptibles de réduire les risques d'accident causé par des roues ayant des charges d'impact élevées. Cependant, le Bureau s'inquiète du fait que ces mesures risquent d'être encore insuffisantes sur certaines parties du territoire et ce, en l'absence d'un système d'inspection complémentaire, comme le système de DDR.

Le présent rapport met un terme à l'enquête du Bureau de la sécurité des transports du Canada (BST) sur cet événement. Le Bureau a autorisé la publication du rapport le .