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Rapport d'enquête ferroviaire R99Q0019

Déraillement en voie principale
Canadien National
Train numéro U-781-21-13
Point milliaire 105,5, subdivision Montmagny
Bégin (Québec)



Le Bureau de la sécurité des transports du Canada (BST) a enquêté sur cet événement dans le but de promouvoir la sécurité des transports. Le Bureau n’est pas habilité à attribuer ni à déterminer les responsabilités civiles ou pénales. Le présent rapport n’est pas créé pour être utilisé dans le contexte d’une procédure judiciaire, disciplinaire ou autre. Voir Propriété et utilisation du contenu.

Résumé

Le 13 avril 1999 vers 15 h 40, heure avancée de l'Est, 10 wagons-citernes chargés d'essence du train no U-781-21-13, un train-bloc de produits pétroliers du Canadien National en provenance de la raffinerie d'Ultramar Canada Inc. à Saint-Romuald (Québec) et à destination de Montréal (Québec), ont déraillé au point milliaire 105,5 de la subdivision Montmagny, près de Bégin (Québec). Environ 230 litres (50 gallons) d'essence se sont déversés. L'accident n'a pas fait de blessés, et le produit déversé a été récupéré sans que des dommages permanents soient causés à l'environnement.

This report is also available in English.

1.0 Renseignements de base

1.1 L'accident

Le 13 avril 1999 vers 15 h 10, heure avancée de l'Est (HAE)Note de bas de page 1 le train no U-781-21-13 (train 781), à destination de Montréal (Québec), part de l'embranchement d'Ultramar Canada Inc. (Ultramar) à Saint-Romuald (Québec), point milliaire 119,9 de la subdivision Montmagny, et roule en direction est. Pendant qu'il roule à une vitesse consignée de 34 mi/h sur une voie principale simple en alignement droit, près de Bégin (Québec), point milliaire 105,5, avec la manette des gaz à la position no 5 et les freins à air desserrés, le train s'immobilise après un freinage d'urgence provenant de la conduite générale. Avant le freinage d'urgence, l'équipe n'a relevé aucune irrégularité dans la conduite du train ou dans l'état de la voie.

Après avoir pris les mesures d'urgence nécessaires, l'équipe détermine que 10 wagons, du 51e au 60e, ont déraillé. Les raccords flexibles de chargement entre certains des wagons-citernes déraillés se sont détachés. Un peu de produit s'est déversé du robinet de 10 pouces d'un bout d'un wagon-citerne déraillé à un endroit où le tuyau flexible était arraché et les raccords coudés étaient cisaillés. Les robinets situés entre les autres wagons sont restés fermés et intacts. Les parois des wagons-citernes ne se sont pas perforées.

Les services de police et d'incendie locaux et l'équipe d'urgence d'Ultramar interviennent par suite de l'incident. La police du Canadien National (CN) isole la zone contaminée et contrôle l'accès aux lieux. Le CN établit un poste de commandement à environ un mille (1 600 m) à l'est du lieu du déraillement.

Le contenu des wagons-citernes déraillés a été transbordé dans des wagons-citernes. Lors du transfert du produit, quelque 230 litres (50 gallons) d'essence se sont déversés dans le fossé et le marais situés au nord de la voie ferrée. Les travaux voulus de nettoyage et de remise en état des lieux ont été effectués.

Personne n'a été blessé.

1.2 Dommages

Les 10 wagons qui ont déraillé ont subi des dommages au châssis, aux bogies, aux traverses de caisse et à la timonerie de frein. La paroi de huit des citernes a subi des bosselures mineures. Un autre wagon, qui n'a pas déraillé, a été légèrement endommagé.

La voie ferrée a été détruite sur une distance totale de 450 pieds, et un autre tronçon de 300 pieds a été endommagé.

1.3 Renseignements sur le personnel

Les membres de l'équipe du train, un chef de train et un mécanicien, connaissaient bien les caractéristiques physiques de la subdivision et répondaient aux exigences en matière de repos et de condition physique.

1.4 Méthode de contrôle du mouvement des trains

Dans la subdivision Montmagny, le mouvement des trains est régi par commande centralisée de la circulation (CCC) en vertu du Règlement d'exploitation ferroviaire du Canada (REF) et des instructions spéciales du CN, et est surveillé par un contrôleur de la circulation ferroviaire (CCF) posté à Montréal.

1.5 Renseignements sur le train

Le train est appelé « Ultratrain ». Il est basé sur le concept du « TankTrain » que la General American Transportation Corporation (GATX) de Chicago (Illinois), aux États-Unis, et la Canadian General Transportation Company (CGTX) de Montréal, sa filiale canadienne, ont mis au point pour répondre aux exigences du CN et d'Ultramar en vue de l'affectation à un service exclusif de transport de combustible entre Québec et Montréal. Les 153 wagons-citernes ont été construits en 1995 et en 1996 en vertu d'un permis délivré par Transports Canada et sont conformes à la norme S-259-94 de l'Association of American Railroads.

Les wagons sont attelés en permanence en rames de 17 wagons avec des raccordements et de l'équipement connexe permettant de charger ou de décharger chaque rame à partir du raccordement du wagon situé au bout de la rame. Les wagons-citernes sont munis d'une protection en cas de renversement qui protège les robinets d'isolement placés au sommet des citernes. Les tuyaux flexibles reliant les wagons entre eux sont conçus de façon à se rompre en cas de séparation des wagons. De plus, la fixation des coudes rigides suspendus au-dessus des citernes est conçue de façon à se rompre avant celle des robinets d'isolement. Des longerons de protection protègent les orifices de vidange placés sous les citernes.

Le train était formé de 68 wagons-citernes chargés répartis en quatre rames. Les deux premières rames étaient chargées d'huile de chauffage (UN 1202), et les deux dernières rames étaient chargées d'essence (UN 1203). Il avait un groupe de traction comptant deux locomotives, mesurait environ 4 040 pieds et pesait quelque 8 170 tonnes.

Une inspection du train et un essai de freins ont été faits avant le départ de l'embranchement d'Ultramar, à Saint-Romuald. Aucune irrégularité et aucun défaut du matériel roulant n'ont été relevés à ce moment.

1.6 Particularités de la voie et de la plate-forme

Au point milliaire 105,5, la voie principale simple était une voie de catégorie 3Note de bas de page 2 et elle était en alignement droit. Elle était faite de rails éclissés de 100 livres en longueurs de 39 pieds (11,9 m) fabriqués et posés en 1949. L'usure du champignon et l'usure latérale étaient minimales et étaient bien en deçà des tolérances. L'annexe A renferme un diagramme des éléments de l'infrastructure de la voie.

La voie reposait sur des traverses de bois dur no 2 posées à raison d'environ 3 200 traverses par mille de voie. Les selles de rail étaient à double épaulement et il y avait quatre crampons à chaque traverse. Sur un groupe de 10 traverses situées dans le secteur immédiat du déraillement, on a relevé des signes de pourrissement et de saturation par l'eau, et d'un déplacement latéral des selles d'environ 2,5 cm (1 pouce).

La Circulaire sur les méthodes normalisées (CMN) 3300 du CN et le Règlement sur la sécurité de la voieNote de bas de page 3 de Transports Canada exigent que chaque section de 39 pieds sur les voies de catégorie 3 renferme au moins 10 traverses non défectueuses (c'est-à-dire que jusqu'à 58 p. 100 des traverses peuvent être défectueuses); ces traverses non défectueuses doivent être réparties efficacement pour soutenir la section complète de 39 pieds.

Entre le point milliaire 105,0 et le point milliaire 106,0, on a relevé trois éclisses qui n'avaient qu'un boulon à chaque about de rail et on a remarqué que des éclisses étaient lâches. Le Règlement sur la sécurité de la voie exige au minimum deux boulons à chaque about de rail.

Les rails étaient encadrés par des anticheminants à toutes les trois traverses. Des marques relevées à la base du rail près du point milliaire 106,5 ont indiqué qu'avec le temps, le rail s'était déplacé de 20,5 cm (8 pouces) en direction est. Les marques indiquaient aussi que le rail avait cheminé dans les deux directions, ce qui dénotait l'inefficacité des anticheminants.

Des employés du CN ont déclaré qu'entre les points milliaires 105 et 108, il y avait un problème chronique lié à des boulons brisés, à des boulons manquants et au cheminement du rail.

La plate-forme de la voie a été construite au moyen de matériaux de remblayage locaux. Les ponceaux situés aux points milliaires 105,36 et 106,61 étaient bien dégagés. Les fossés des deux côtés de la plate-forme étaient remplis d'eau, de neige et de glace jusqu'à 0,6 m (2 pieds) sous le patin du rail.

Une couche d'environ 15 cm (6 pouces) de neige recouvrait le terrain situé de part et d'autre de la voie. Les épaulements de la plate-forme étaient mous. Le ballast était constitué d'une couche de gravier concassé mesurant environ 25,5 cm (10 pouces) d'épaisseur dont l'épaulement avait une largeur variant entre 25,5 cm et 40,5 cm (de 10 à 16 pouces). Dans le secteur immédiat du déraillement, le ballast était recouvert de matériaux à grains fins. La couche supérieure de la plate-forme et les matériaux constituant le ballast étaient saturés d'humidité.

Un mesurage du nivellement transversal a été fait sous le premier wagon qui est resté sur la voie ferrée (50e wagon) et a révélé un écart de 5 cm (2 pouces). D'après la CMN 3101 du CN, l'écart maximal de nivellement transversal pour une voie de catégorie 3 est de 4,4 cm (1 pouce 3/4). L'annexe C de la CMN 3101 du CN autorise une vitesse maximale de 25 mi/h sur des voies dont le nivellement transversal montre un écart de 5 cm (2 pouces).

Le nivellement transversal et l'écartement ont été mesurés à chaque éclisse sous le poids d'une locomotive, sur une distance de 1 000 pieds vers l'ouest du lieu du déraillement. Toutes les mesures obtenues étaient en deçà de la tolérance de 4,4 cm établie pour les voies de catégorie 3.

En octobre 1998, le service voyageurs avait été supprimé dans ce tronçon de la subdivision. En février 1999, en raison de la détérioration de son état, la voie a été déclassée, passant de la catégorie 4 à la catégorie 3. Du fait de ce déclassement, la vitesse maximale en voie a été réduite de 60 mi/h à 40 mi/h pour les trains de marchandises.

Dans ce tronçon de la subdivision Montmagny, la circulation ferroviaire consistait en quatre trains de marchandises par jour (principalement l'Ultratrain). Après l'inauguration de l'Ultratrain en 1996, le tonnage transporté sur cette ligne a augmenté, passant de 0,85 million de tonnes brutes-milles (MTBM) à 5,20 MTBM en 1998.

1.7 Renseignements sur le lieu de 'événement

Le lieu du déraillement était à environ quatre milles de la zone urbaine la plus rapprochée. La voie de ce tronçon de la subdivision a été construite en 1884 sur un terrain plat et marécageux. La voie traversait un secteur marécageux connu dans la région sous le nom de « Grande Plée Bleue » ou « Les Quarante Lacs ». Le drainage de la plate-forme était assuré par des fossés des deux côtés de la voie. Le marais était aussi une zone de culture de mousse de tourbe, et il y avait des canaux de drainage des deux côtés de la voie ferrée, au-delà de l'emprise. Étant donné la nature du terrain, il n'y avait pas de bâtiments habités à moins de 1,6 km (1 mille) du lieu de l'accident.

Tous les wagons ont déraillé du côté nord de la voie ferrée. Le premier wagon s'est renversé complètement sur le toit. Les deuxième et troisième wagons se sont retrouvés sur le côté, dans le fossé parallèle à la voie ferrée. Les quatrième, cinquième, sixième et septième wagons ont fini leur course sur le côté, au pied de la plate-forme et à l'extérieur de l'emprise. Les huitième et neuvième wagons étaient sur la plate-forme et étaient inclinés vers le fossé nord, et le dixième avait le bogie avant (bout A) déraillé, mais était resté sur ses roues.

Deux rails ont été tordus, brisés et leurs morceaux ont été éparpillés sur le lieu du déraillement. Sous les septième et huitième wagons, on a récupéré un morceau de rail brisé avec une éclisse tordue reliée à un about et une éclisse brisée reliée à l'autre about, et on les a envoyés au Laboratoire technique du BST pour les soumettre à des essais. Les marques relevées sur les rails et les traverses ont indiqué que les wagons ont déraillé abruptement du côté nord de la voie à la hauteur de l'éclisse brisée.

1.8 Analyse du Laboratoire technique du BST

Dans son rapport d'examen du morceau de rail brisé et des éclisses qui lui étaient reliées (rapport no LP 047/99), le Laboratoire technique du BST en est venu aux conclusions suivantes :

1.9 Inspection de la voie

L'entretien et la surveillance de la voie et de l'infrastructure de la subdivision Montmagny relevaient d'un superviseur de la voie affecté à Joffre (Québec). La dernière vérification de l'état géométrique de la voie avait été faite le 18 juin 1998 par une voiture de contrôle de l'état géométrique de la voie. Le contrôle n'avait révélé aucun défaut dans le secteur du déraillement. Les résultats de la vérification se sont fondés sur les normes et les tolérances établies pour les voies de catégorie 4. Une voiture d'auscultation des rails avait sondé les rails le 31 mars 1999 et n'avait détecté aucun défaut métallurgique dans le secteur du déraillement.

Un véhicule rail-route avait inspecté la voie le 12 avril 1999, soit la veille du déraillement, et n'avait relevé aucune irrégularité dans le secteur où le déraillement s'est produit. Deux fois par semaine et à des intervalles n'excédant pas deux jours entre les inspections, on procède à des vérifications périodiques des voies de catégorie 3 où le trafic est supérieur à 3 millions de tonnes brutes par année.

Les inspecteurs de la voie étaient tenus de prendre les mesures correctives qui s'imposaient quand ils remarquaient des défauts de la voie devant être signalés, notamment en assurant la protection au moyen d'un ordre temporaire de limitation de vitesse.

Les CMN du CN précisent que les voies principales de la catégorie 3 à la catégorie 6 doivent faire l'objet d'une inspection à pied une fois l'an. Les traverses qui doivent être remplacées sont identifiées et marquées pendant l'inspection à pied annuelle. La dernière inspection à pied remontait à mai 1998. L'inspection à pied annuelle de 1999 n'avait pas été faite dans ce tronçon de la subdivision au moment du déraillement.

À partir des résultats du contrôle effectué en 1998 par la voiture de contrôle de l'état géométrique de la voie et des rapports d'inspection sur le terrain, le CN a cru que ce tronçon de voie était sûr, compte tenu de la vitesse autorisée de 40 mi/h. Dans ce tronçon de la subdivision, on n'avait pas signalé de problèmes antérieurs de l'état géométrique de la voie causés par la dégradation de la couche supérieure de la plate-forme.

1.10 Règlement sur la sécurité de la voie de Transports Canada et défauts à signaler

Le Règlement sur la sécurité de la voie de Transports Canada renferme des règles concernant le drainage et la végétation ainsi que des procédures relatives aux inspections spéciales qui doivent avoir lieu après des inondations, des tempêtes ou d'autres phénomènes importants. Le Règlement sur la sécurité de la voie ne contient pas de règles spécifiques au sujet de la stabilité de la couche supérieure de la plate-forme.

Transports Canada exige que les compagnies ferroviaires conservent une copie des relevés des inspections, et qu'ils notent les défauts établis dans le Règlement sur la sécurité de la voie et les mesures correctives prises. Le CN consigne d'autres mesures correctives pour ses dossiers internes. Dans le secteur du déraillement, aucun défaut récent n'avait été signalé.

1.11 Programmes d'entretien

Dans le tronçon de la subdivision qui allait de Saint-Charles (point milliaire 101,3) à Harlaka (point milliaire 110,2), aucun travail d'entretien préventif ou d'amélioration n'avait été effectué depuis l'inauguration de l'Ultratrain et par suite de l'augmentation du trafic qui en a résulté. Toutefois, l'entretien normal, comme le nivellement, était fait chaque année. Une demande de remplacement de traverses a été présentée en 1997 en vue du programme de 1998. Ces travaux n'ont pas été réalisés, étant donné que d'autres besoins du district ont été jugés prioritaires. Toutefois, le remplacement des traverses avait été approuvé et devait être réalisé à l'été de 1999.

Le CN se sert beaucoup des rapports d'inspection des voitures de contrôle de l'état géométrique de la voie pour identifier les secteurs où la sécurité pourrait être compromise. Il se sert aussi de l'information pour planifier les programmes d'entretien futurs. La fréquence des inspections faites par les voitures de contrôle de l'état géométrique est établie d'après les exigences du Règlement sur la sécurité de la voie, le tonnage annuel, l'état de la voie et la catégorie de celle-ci. Le tronçon pertinent de la subdivision a été inspecté chaque année pendant les mois d'été par une voiture de contrôle de l'état géométrique de la voie.

1.12 Inspection de la voie et supervision

Après une réorganisation du personnel, la responsabilité de la subdivision Montmagny a été confiée au superviseur de la voie affecté à Joffre le 1er mars 1999. Cette réorganisation a eu pour effet d'agrandir la zone de responsabilité de ce poste qui, au cours d'une période de transition de six semaines, a été aussi responsable d'une partie de la subdivision Drummondville (qui relevait de sa responsabilité avant la réorganisation). Le superviseur de la voie est allé suivre un cours de gestion, de sorte que ces responsabilités accrues ont été confiées par intérim au superviseur adjoint de la voie. Les fonctions du superviseur adjoint de la voie (inspections de la voie) ont été ensuite confiées à une autre personne qui est tombée malade. Le superviseur de la voie intérimaire a alors confié temporairement la tâche d'effectuer les inspections de la voie à une personne qui connaissait bien le territoire.

1.13 Formation et communication

Dans le cadre du programme de formation du personnel de l'ingénierie, le CN enseigne les tâches d'inspection et d'entretien de la voie. Le programme de formation traite de l'application de toutes les CMN du CN, y compris de celles qui concernent la plate-forme, l'état géométrique de la voie, les traverses et l'inspection de la voie. Les inspecteurs de la voie apprennent aussi à identifier les défauts des traverses et à détecter les endroits où la plate-forme est affaiblie, grâce à l'identification visuelle des défauts de la surface ou de la plate-forme. On enseigne aux inspecteurs de la voie qu'une de leurs responsabilités consiste à identifier les tronçons de voie à risque élevé, à les signaler et à assurer le suivi.

En octobre 1998 et mars 1999, le personnel de l'ingénierie du district, y compris les superviseurs de ce territoire, ont suivi des séminaires de formation sur la géotechnique (Geotechnology for Railroaders) élaborés conjointement par le CN et par le Chemin de fer Canadien Pacifique (CFCP). Le contenu du séminaire a traité des dangers potentiels d'origine naturelle, de l'instabilité de la plate-forme et des glissements de terrain dans les secteurs à risque élevé.

Le plan de préparatifs du printemps du district Champlain du CN et le plan de préparatifs du printemps du secteur de l'ingénierie du réseau du CN identifient les risques associés au dégel printanier et décrivent les façons de reconnaître les défauts potentiels. Les plans de préparatifs du printemps indiquent aussi les secteurs qui ont posé problème par le passé, la localisation des ressources d'entretien dont les superviseurs disposent et les mesures nécessaires pour assurer la sécurité des opérations. Les documents de planification renferment de l'information spécifique portant sur le drainage et la gestion des eaux, et sur les secteurs problématiques connus. Le plan du district n'a pas indiqué le secteur du déraillement comme étant un secteur problématique.

Le matériel de formation et les plans de préparatifs du printemps décrivent les effets de la saturation des traverses par l'eau, les effets potentiels de la saturation de la plate-forme et de la couche supérieure de la plate-forme par l'eau, ainsi que les critères d'identification visuelle des conditions printanières susceptibles de poser des risques particuliers. Les superviseurs de la voie et les superviseurs adjoints de la voie ont suivi un exposé sur les mesures de préparation avant que le plan soit mis en oeuvre.

Le rapport à l'intention du personnel de l'ingénierie au sujet des dangers d'origine naturelle, intitulé CN Natural Hazard Report for Engineering Personnel, qui est contenu dans les plans de préparatifs du printemps, prévoit qu'il ne faut signaler que certains indicateurs de danger potentiel (p. ex. risques de chute de pierres), et qu'il faut signaler d'autres dangers après coup seulement (p. ex. défauts de la plate-forme, défauts d'alignement et affaissements).

1.14 Circulaires sur les méthodes normalisées (CMN) et rapports d'inspection du Canadien National (CN)

La CMN 3100 du CN, laquelle énonce les points à surveiller pendant les inspections à pied et les inspections à bord de véhicules rail-route, ne mentionnait pas spécifiquement l'état de la plate-forme, même si elle exigeait que l'inspecteur observe les défauts de l'état géométrique de la voie, comme le nivellement transversal, et le nivellement et l'état des traverses. Les inspecteurs de la voie du CN utilisaient le formulaire de rapport approuvé par Transports Canada pour indiquer les défauts de la voie à signaler selon le Règlement sur la sécurité de la voie qu'ils avaient relevés pendant leurs inspections courantes. Les critères relatifs aux inspections des traverses à bord des véhicules rail-route précisaient seulement que les inspecteurs devaient noter les traverses qui avaient été endommagées ou brisées par le matériel roulant. Pour inspecter les traverses plus en détail, il fallait procéder à une inspection à pied.

1.15 Conditions météorologiques

La température était de six degrés Celsius, des vents modérés soufflaient de l'est à 25 km/h et le ciel était clair.

Entre le 1er avril et le 13 avril 1999, les températures maximales moyennes ont approché les 10 degrés Celsius pendant le jour, et les températures minimales moyennes ont été de moins 6 degrés Celsius pendant la nuit. Au cours de cette période, l'enneigement a diminué d'environ 36 cm (14 pouces). L'enneigement avait diminué de 15 cm (6 pouces) pendant les 48 heures qui ont précédé le déraillement.

1.16 Autres renseignements

Par suite d'autres accidents dus à l'affaissement de la plate-forme survenus à Conrad (Colombie-Britannique) (rapport no R97V0063 du BST), et à Pointe au Baril (Ontario) (rapport no R97T0097 du BST), le Bureau a recommandé que:

Le ministère des Transports, en collaboration avec le Canadien National, le Canadien Pacifique Limitée et le service de voirie de la Colombie-Britannique :
[…]

c) le cas échéant, mette en oeuvre un programme de surveillance pour détecter les instabilités de la couche supérieure de la plate-forme causées par une saturation d'eau.
Recommandation R97-01 du BST (publiée en avril 1997)

Le ministère des Transports, en collaboration avec l'Association des chemins de fer du Canada :
[…]

b) évalue d'autres méthodes pour confirmer l'intégrité de la plate-forme durant les périodes à risque élevé. […]
Recommandation R97-02 du BST (publiée en avril 1997)

Transports Canada a rencontré l'industrie en mai 1997 afin d'évaluer des améliorations possibles et notamment d'étudier les nouvelles technologies, et d'évaluer des méthodes permettant de confirmer l'intégrité de la plate-forme. Par suite de cette rencontre, on a élaboré les séminaires de formation sur la géotechnique intitulés Geotechnology for Railroaders et les différents plans de préparatifs du printemps des compagnies ferroviaires, et les différents bureaux régionaux de Transports Canada ont continué de surveiller les mesures prises par l'industrie.

2.0 Analyse

2.1 Introduction

Comme aucun défaut du matériel roulant n'a été relevé et que l'exploitation du train avant le déraillement était conforme aux exigences de la compagnie et de la réglementation et qu'aucune irrégularité évidente n'a été signalée dans le comportement du train, on en vient à la conclusion que l'état du matériel roulant et la conduite du train ne sont pas en cause. L'analyse examinera donc d'autres domaines de l'exploitation ferroviaire afin de déterminer les causes et les facteurs contributifs.

2.2 Le déraillement

En raison de la destruction de la superstructure de la voie et de l'absence d'indicateurs physiques, il a été impossible de déterminer l'endroit du déraillement initial ou d'identifier le premier wagon qui a déraillé. Toutefois, il est probable que le processus de déraillement a débuté dans le secteur du groupe de traverses défectueuses. À cet endroit, la couche supérieure de la plate-forme était affaiblie, gorgée d'humidité et contaminée par des matériaux à grains fins qui témoignent du pompage des traverses. Un écart considérable du nivellement transversal a été relevé près du lieu du déraillement, et on a aussi observé des problèmes de cheminement des rails et des problèmes d'éclissage. Ces facteurs indiquent que le déplacement vertical des rails et les écarts du nivellement transversal existaient probablement dans le secteur où la voie a été détruite. Dans cette situation, le mouvement d'oscillation des wagons est amplifié et les efforts horizontaux et verticaux exercés sur la voie sont accrus. Il est donc fort probable que la roue d'un wagon s'est soulevée et que le wagon a déraillé du fait de l'oscillation, ou que les efforts latéraux ont déplacé le rail dans le secteur du groupe de traverses défectueuses, ce qui aurait entraîné une perte d'écartement et aurait fait en sorte qu'une roue tombe sur la plate-forme. Dans un cas comme dans l'autre, le déraillement initial a entraîné le déplacement du rail, qui a rompu l'éclisse à la hauteur d'une fissure qui existait déjà. Puis, les neuf autres wagons ont déraillé.

Les conditions météorologiques dans le secteur de Bégin pendant les 13 jours précédant le déraillement avaient eu pour effet d'élever le niveau d'eau des deux côtés de la plate-forme, situation propice à l'infiltration d'eau, et avaient occasionné des cycles de gel et de dégel qui ont eu des effets néfastes sur la stabilité de la plate-forme.

2.3 État de la voie

2.3.1 Comportement humain

La rupture de la voie s'est produite malgré :

Trois inspecteurs intérimaires de la voie différents ont eu la responsabilité d'inspecter le tronçon de la voie en question au cours d'une brève période. Chaque inspecteur savait que des inspecteurs précédents n'avaient pas repéré la possibilité d'une « subsidence / d'un affaissement de la plate-forme ».

Le fait que le mauvais état de la voie était évident et justifiait des mesures correctives, comme un ordre de limitation de vitesse, n'a pas alarmé les inspecteurs. Il est vraisemblable que le manque de mesures prises par les trois inspecteurs a donné lieu à une diffusion de la responsabilité au cours de laquelle, avec le temps et en cumulé, chaque inspecteur a été influencé par le comportement de ses collègues. En outre, les pressions sociales ont été identifiées comme ayant contribué à la qualité des inspectionsNote de bas de page 4, parce que les pressions exercées par des collègues ou des superviseurs en faveur de « l'acceptation » ou du « rejet » d'éléments peuvent influer sur les décisions prises pendant le processus d'inspection. Il se peut que la diffusion de la responsabilité et les pressions sociales ont mené à une situation qui n'était pas propice à l'identification du mauvais état de la voie par les trois inspecteurs intérimaires.

2.3.2 Inspection de la voie

Les critères d'inspection de la plate-forme relatifs aux inspections par des voitures rail-route et aux inspections à pied n'étaient pas mentionnés spécifiquement dans les CMN du CN et dans le Règlement sur la sécurité de la voie. En outre, il n'était pas explicite qu'il y avait un lien entre les défauts de l'état géométrique de la voie relevés et l'état de la plate-forme.

Alors que les superviseurs et les inspecteurs de la voie avaient une formation sur les questions de géotechnique et que des plans de préparatifs du printemps étaient en place, il n'existait aucune corrélation écrite entre la formation sur l'affaiblissement des plates-formes et l'identification des dangers naturels et les méthodes d'inspection. L'absence d'une telle corrélation a diminué l'efficacité du processus d'identification des dangers de la voie.

2.3.3 Évaluation de l'état géométrique de la voie

Les inspections de la voie les plus récentes par véhicule rail-route n'ont pas permis d'identifier l'incidence des conditions printanières temporaires sur l'état géométrique de la voie. Normalement, les inspections courantes, faites par des voitures rail-route dont la charge par essieu est faible, ne permettraient pas d'identifier un défaut de ce genre puisque ces défauts peuvent être dans les limites acceptables lorsque la voie n'est pas sous charge. Certaines caractéristiques peuvent être bien évaluées, comme l'écartement aux endroits où on peut voir des marques de mouvement latéral à côté des selles de rail. Cependant, lorsque les inspecteurs sont confrontés à une subsidence du sol ou à un affaiblissement de la plate-forme, ils n'ont pas d'indication équivalente du fait que la voie est affaiblie; donc, ils ne peuvent quantifier ni estimer le mouvement sous charge. Lorsqu'il y a affaiblissement de la plate-forme, un véhicule rail-route en mouvement ne déplacera pas assez la voie pour attirer l'attention d'un inspecteur de la voie si tous les autres signes visuels de possibilité de défauts de l'état géométrique de la voie ne sont pas connus. Les signes visuels qui existaient dans le cas à l'étude exigeaient que l'inspecteur de la voie prenne les mesures nécessaires manuellement, évalue l'incidence possible du mouvement de la voie sous charge, et prenne les mesures correctives qui s'imposent pour assurer l'exploitation en toute sécurité.

Une inspection de l'état géométrique de la voie effectuée par une voiture de contrôle de l'état géométrique de la voie, qui effectue des essais de la voie sous charge, aurait bien indiqué l'état de la voie si elle avait été effectuée pendant le ruissellement du printemps. Puisque les contrôles de l'état géométrique de la voie se font à l'été, saison au cours de laquelle la plate-forme est sèche et stable, et que ces contrôles ne permettraient pas de déceler cette faiblesse temporaire, on devrait porter une plus grande attention au cours des périodes normales de crue printanière afin de s'assurer que le fait que la plate-forme soit affaiblie n'ait pas de conséquences néfastes sur l'état géométrique de la voie. Par conséquent, il est évident que le recours aux méthodes habituelles de contrôle pour identifier des défauts de l'état géométrique de la voie associés à un affaiblissement temporaire de la plate-forme ne permettrait peut-être pas d'identifier les défauts en question et de prendre des mesures correctives.

2.4 Formation et état de préparation

En grande partie, le programme de formation en géotechnique et les plans de préparatifs du printemps étaient conçus spécifiquement pour prévenir les déraillements attribuables à des affaissements de la plate-forme pendant le dégel printanier. La détection d'un affaiblissement de la plate-forme est aussi un élément important du régime d'inspection hebdomadaire des voies. Un grand nombre de manifestations matérielles de la dégradation de la plate-forme étaient évidentes sur le lieu de l'accident (p. ex. cheminement des rails, contamination du ballast, mauvais état des traverses, absence de boulons d'éclisse), tandis que la présence du marais, les niveaux d'eau élevés et la probabilité que la plate-forme soit faite de matériaux de remblayage locaux auraient dû mettre en évidence le fait que la plate-forme était affaiblie dans ce secteur. Cet accident a indiqué que l'obligation d'identifier les secteurs à risque élevé, de les signaler et de les surveiller n'a pas été bien comprise par les employés chargés de faire ces déterminations et de prendre les mesures qui s'imposent.

2.5 Wagons-citernes de l'Ultratrain

Étant donné les circonstances dans lesquelles ce déraillement s'est produit, dans un secteur où le sol était mou, les parois des citernes sont restées intactes même si certaines d'entre elles ont subi des dommages. Les robinets d'isolement, les dispositifs de protection en cas de renversement et les longerons de protection intégrés aux wagons-citernes de l'Ultratrain ont fonctionné comme ils le devaient, si bien qu'il n'y a pas eu de déversement important de liquide inflammable ni de contamination environnementale.

3.0 Faits établis

3.1 Faits établis quant aux causes et aux facteurs contributifs

  1. Un fort écart du nivellement transversal et un mouvement vertical des rails attribuables à un affaiblissement de la plate-forme ont soit créé des efforts latéraux qui ont eu raison de la résistance des dispositifs de fixation des rails dans un secteur où les traverses étaient défectueuses, soit occasionné un déraillement consécutif au soulèvement d'une roue.
  2. En raison des conditions météorologiques, les niveaux d'eau se sont élevés en bordure de la voie ferrée et des cycles de gel et de dégel ont altéré la stabilité de la plate-forme.
  3. L'obligation d'identifier les secteurs de la plate-forme qui risquaient le plus de se dégrader, de les signaler et de les surveiller n'a pas été bien comprise par les employés qui doivent faire ces déterminations et prendre les mesures qui s'imposent.

3.2 Faits établis quant aux risques

  1. L'absence d'un lien entre les défauts de l'état géométrique de la voie et l'affaiblissement de la plate-forme dans le Règlement sur la sécurité de la voie et dans les Circulaires sur les méthodes normalisées du Canadien National a réduit l'efficacité du processus d'identification des défauts de la voie.

3.3 Autres faits établis

  1. Il se peut que la diffusion de la responsabilité et les pressions sociales ont mené à une situation qui n'était pas propice à l'identification du mauvais état de la voie par les trois inspecteurs intérimaires.
  2. Les dispositifs de protection en cas de renversement et le système de robinets d'isolement des wagons-citernes de l'Ultratrain ont fonctionné de la façon voulue.

4.0 Mesures de sécurité

4.1 Mesures de sécurité prises

Le 14 avril 1999, le Canadien National (CN) a augmenté la fréquence des inspections courantes dans ce tronçon de la subdivision, pour la faire passer de deux inspections par semaine à trois inspections par semaine jusqu'à la fin de la période de ruissellement printanier.

Le 20 avril 1999, Transports Canada a fait part au CN de son intention de procéder à une inspection spéciale de toutes les voies affectées au service de l'Ultratrain et a demandé au CN de faire part de ses commentaires quant à la vitesse maximale permise entre Harlaka, point milliaire 110,2, et le point milliaire 102,3, compte tenu de l'état particulier de la voie et de la nature du trafic ferroviaire.

Après le déraillement, le CN a abaissé encore davantage la vitesse maximale permise (25 mi/h) et a déclassé la voie ferrée (catégorie 2), jusqu'à la fin des travaux de remise en état.

Des travaux de remise en état ont été effectués pour renouveler les anticheminants et les traverses, et pour refaire le nivellement et installer des longs rails soudés sur ce tronçon de la voie. On a fait temporairement passer la vitesse maximale à 30 mi/h dans le secteur du lieu de l'accident. Cette vitesse est devenue permanente avec l'introduction de l'indicateur 77 en date du 1er mai 2000.

La Circulaire sur les méthodes normalisées (CMN) 3100 a été révisée afin d'inclure des évaluations de la stabilité et du drainage des plates-formes et des pentes dans l'inspection annuelle à pied, et les trois CMN (4400, 4401 et 4402) au sujet de l'inspection, de l'entretien et du drainage des petits ponceaux ont été révisées et combinées en une seule CMN. De cette façon, les critères d'inspection des ponceaux ont été consolidés et clarifiés.

Par suite de l'expérience acquise avec les wagons-citernes de l'Ultratrain depuis le début de l'exploitation et de l'exigence visant à remplacer les wagons-citernes de l'Ultratrain démolis dans l'accident survenu à Mont-Saint-Hilaire (Québec) le 30 décembre 1999 (R99H0010 __ fait présentement l'objet d'une enquête par le BST), les nouveaux wagons de remplacement ont été fabriqués selon une norme améliorée. On a apporté des changements afin de renforcer les accessoires de chargement et de déchargement sur les wagons, et on a introduit des dispositifs de protection des raccords supérieurs en cas de renversement.

4.2 Préoccupations liées à la sécurité

Par suite de la recommandation R97-01 du BST, le CN a incorporé un programme de formation géotechnique à son plan de préparatifs du printemps. Le Bureau sait que ces mesures prises par l'industrie sont une étape positive afin de régler les questions liées à la stabilité de la voie. Le Bureau reconnaît aussi que les mesures prises après le déraillement à l'étude au sujet de la révision de la CMN 3100 ont rendu le processus d'inspection de la voie plus clair. Cependant, les outils auxquels les inspecteurs de la voie ont accès et plus précisément l'absence d'un lien spécifique entre les défauts de l'état géométrique de la voie et l'affaiblissement de la plate-forme dans le Règlement sur la sécurité de la voie et les CMN du CN rendent le processus d'identification des défauts de la voie sous-optimal.

Le présent rapport met fin à l'enquête du Bureau de la sécurité des transports sur cet accident. Le Bureau a autorisé la publication du rapport le .

Annexes

Annexe A - Éléments de l'infrastructure de la voie

Figure 1. Éléments de l'infrastructure de la voie
Éléments de l'infrastructure de la voie

Annexe B - Sigles et abréviations

BST
Bureau de la sécurité des transports du Canada
CCC
commande centralisée de la circulation
CCF
contrôleur de la circulation ferroviaire
CFCP
Chemin de fer Canadien Pacifique
CGTX
Canadian General Transportation Company
cm
centimètre
CMN
Circulaire sur les méthodes normalisées
CN
Canadien National
GATX
General American Transportation Corporation
HAE
heure avancée de l'Est
km
kilomètre
km/h
kilomètre à l'heure
m
mètre
mi/h
mille à l'heure
MTBM
million de tonnes brutes-milles
REF
Règlement d'exploitation ferroviaire du Canada
Ultramar
Ultramar Canada Inc.
UTC
temps universel coordonné