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Rapport d'enquête ferroviaire R99D0159

Wagons partis à la dérive
Canadien National
Point milliaire 69,4, subdivision Kingston du CN
Antenne Wesco



Le Bureau de la sécurité des transports du Canada (BST) a enquêté sur cet événement dans le but de promouvoir la sécurité des transports. Le Bureau n’est pas habilité à attribuer ni à déterminer les responsabilités civiles ou pénales. Le présent rapport n’est pas créé pour être utilisé dans le contexte d’une procédure judiciaire, disciplinaire ou autre. Voir Propriété et utilisation du contenu.

Résumé

Le 27 août 1999, vers 10 h 40, heure avancée de l'Est, une équipe du Canadien National (CN) effectuait des manoeuvres à l'ouest du triage CB, à Cornwall (Ontario), sur l'antenne Wesco, au point miliaire 69,4 de la subdivision Kingston du CN, lorsque six wagons-citernes sont partis à la dérive sur la voie CB17. Les wagons ont roulé vers l'est sur une distance de 475 pieds et ont percuté le butoir placé au bout de la voie. Lors de l'impact, un wagon a déraillé et sa citerne a été perforée. Environ 5 000 gallons de produit, un liquide combustible de catégorie 3, numéro de classification NA 1993, se sont répandus mais ont été presque entièrement récupérés. Personne n'a été blessé.

1.0 Autres renseignements de base

1.1 L'accident

L'affectation de manoeuvres 591 du Canadien National (CN) effectue des manoeuvres sur l'antenne Wesco à Cornwall (Ontario). L'équipe de train laisse d'abord deux wagons sur la voie de tiroir puis retourne avec six autres wagons et les stationne sur la voie CB17, à l'ouest de six wagons-citernes qui ont été placés à cet endroit entre le 26 juillet et le 5 août 1999. La locomotive revient ensuite récupérer les deux wagons de la voie de tiroir pour les amener sur la voie CB17. Lors de cette dernière manoeuvre, les six wagons-citernes partent à la dérive. Le wagon de tête, STEX 20520, qui contient un liquide combustible de catégorie 3, numéro de classification NA 1993, heurte le butoir de la voie CB17. Lors de l'impact, le wagon déraille et sa citerne se perfore. Environ 5 000 gallons de liquide s'échappent mais sont presque entièrement récupérés.

Les membres de l'équipe ne remarquent pas que les six wagons-citernes stationnés plus à l'est sont partis à la dérive. Ce sont des témoins qui appellent les services d'urgence de la ville de Cornwall lorsqu'ils aperçoivent les wagons rouler à faible vitesse vers l'est sans locomotive et percuter le butoir. Les policiers et les pompiers de la ville de Cornwall ainsi qu'un policier du CN interviennent dans les minutes suivant l'appel. Ils établissent immédiatement un périmètre de sécurité de 1 000 pieds et évacuent les clients et le personnel des commerces avoisinants. Plus tard, le périmètre est réduit à 300 pieds. La zone de contamination est isolée et l'accès au lieu est contrôlé par les policiers de Cornwall et du CN.

1.2 Victimes

L'accident n'a pas fait de blessé.

1.3 Dommages au matériel

Le wagon STEX 20520, un wagon-citerne de catégorie 111A, a déraillé et a subi des dommages à la citerne. Lors de l'impact, une jambe du butoir d'extrémité Note de bas de page 1 a perforé la citerne sur environ 30 pouces carrés et s'est enfoncée dans le wagon. Le butoir d'extrémité a été démoli.

Le wagon STEX 20520 était chargé de 146 660 livres de liquide combustible, catégorie 3,

NA 1993, non réglementé au Canada. Le produit était déclaré comme étant de l'heptanol, mais l'analyse d'un échantillon a révélé qu'il s'agissait d'un mélange de solvants ayant un point d'éclair de 74 degrés Celsius.

1.4 Autres dommages

Afin de confiner le déversement, une digue a été construite avec des remblais de sable. Les bouches d'égouts pluviaux et sanitaires situées dans les environs ont été scellées pour empêcher le produit de s'y déverser. Environ 5 000 gallons de liquide se sont échappés du wagon et se sont répandus sur le sol. Plus de 3 000 gallons ont été récupérés directement et transbordés dans des camions-citernes; le reste s'est infiltré dans le réseau d'égouts et dans le sol. Les boues usées ont été récupérées à la station d'épuration et les sols contaminés par le liquide ont été enlevés et transportés pour traitement. L'évacuation a occasionné des inconvénients et des pertes économiques pour les commerces avoisinants.

1.5 Renseignements sur le personnel

L'équipe se composait d'un mécanicien, d'un chef de train et d'un agent de train. Ils connaissaient bien le territoire, satisfaisaient aux exigences en matière de repos et de condition physique et répondaient aux exigences de leurs postes respectifs.

1.6 Renseignements sur le lieu de l'événement

Le triage CB (voir la figure 1) comprend cinq voies d'entreposage; il est orienté dans l'axe est-ouest et est situé dans un secteur commercial entre un centre commercial et un restaurant. Les voies du triage CB sont utilisées pour entreposer divers wagons en attente de livraison aux industries locales.

La voie CB17 a une longueur de 1 500 pieds, une pente descendante de 1 p. 100 vers l'est et marque une légère courbe à gauche d'un degré sur environ 1 000 pieds à partir de l'aiguillage. Les rails sont de 85 livres, posés en longueurs boulonnées de 39 pieds. C'est une voie sans issue équipée d'un butoir d'extrémité.

Figure 1 - Plan général de l'antenne Wesco et du triage CB

Figure 1 - Plan général de l'antenne Wesco et du triage CB

1.7 Renseignements sur le train et les manoeuvres

L'affectation de manoeuvres 591 de Cornwall est une affectation régulière qui dessert les industries de Cornwall comme Domtar et BASF du lundi au vendredi, pendant les heures normales de travail.

Le jour de l'accident, on devait pousser une rame de huit wagons (rame A) sur la voie de tiroir, déplacer les deux premiers wagons de cette rame et les placer juste devant la locomotive, puis aller s'atteler aux six wagons-citernes (rame B) qui étaient stationnés à l'extrémité est de la voie CB17 du triage CB (voir la figure 2). Les 14 wagons devaient ensuite être livrés à divers clients. Ce genre de manoeuvres était courant et pouvait se répéter plusieurs fois dans une semaine.

Figure 2 - Répartition des wagons des rames A et B

Figure 2 - Répartition des wagons des rames A et B

1.8 Renseignements météorologiques

La température était de 26 degrés Celsius, des vents moyens soufflaient du sud-est à 4 km/h et le ciel était clair.

1.9 Renseignements consignés

Les locomotives GR12 et GR13 n'étaient pas équipées de consignateur d'événements.

1.10 Méthode de contrôle du mouvement des trains

L'antenne Wesco était régie par la règle 105 du Règlement d'exploitation ferroviaire du Canada (REF). La règle 105 stipule qu'un train ou une locomotive circule à vitesse réduite, prêt à s'arrêter en deçà du drapeau ou du feu rouges prescrits à la règle 40.1. Les instructions spéciales du CN précisent que la vitesse ne doit pas dépasser 15 mi/h.

1.11 Instructions et règles d'exploitation

Les Instructions générales d'exploitation du CN et les instructions spéciales du REF renferment les exigences concernant l'immobilisation et l'attelage du matériel roulant.

La règle 112 du REF et les instructions spéciales connexes s'appliquent à l'immobilisation du matériel roulant. La règle 112 se lit comme suit :

Par suite de l'accident survenu à Edson (Alberta) au mois d'août 1996, le BST a examiné la variabilité de la force de serrage des freins (rapport no R96C0172 du BST). Par conséquent, le CN a publié les instructions spéciales suivantes pour la règle 112:

INSTRUCTION SPÉCIALE - Règle 112

  • [. . .]
    3. Tableau freins à main - Sauf indication contraire, le tableau ci-dessous indique le nombre minimal de freins à main à serrer pour immobiliser le matériel (même si le frein à air a été serré à fond sur ce matériel):
    • Nombre minimal de freins à main à serrer
      • 1 wagon - 1 frein à main
      • 2 - 19 wagons 2 freins à main
  • 6. Remarques:
    [. . .]
    • iii) Si des wagons stationnés sur une voie ne sont pas tous attelés ensemble, la prescription de serrage d'un certain nombre de freins à main (tableau du paragraphe 3) s'applique à chaque groupe de wagons attelés ensemble.

Aucune instruction spéciale précise n'oblige les équipes à immobiliser les wagons dans la partie inférieure d'une voie en pente, ni à les appuyer contre les butoirs.

Les règles régissant l'attelage des wagons sont les règles 113 et 115 et les instructions spéciales connexes. La règle 113 a) stipule : « Avant de s'atteler à du matériel roulant en un endroit quelconque, il faut prendre soin de s'assurer que ce matériel roulant est convenablement immobilisé. »

L'instruction spéciale pour la règle 113 se lit en partie comme suit :

[. . .]
2. Étiré l'accouplement - Lorsque, pour quelque raison que ce soit, on s'attelle à du matériel roulant, sauf lors du buttage ou des manoeuvres en palier alors que les wagons sont lâchés seuls intentionnellement, le matériel roulant attelé doit être étiré pour s'assurer qu'il est immobilisé.

La règle 115, Pousse d'un matériel roulant, stipule en partie :

a) Lorsqu'un matériel roulant est poussé par une locomotive, un membre de l'équipe doit être posté sur le véhicule de tête ou au sol, de façon à pouvoir observer la voie à utiliser et donner les signaux ou les instructions nécessaires pour diriger le mouvement.

Tous les membres de l'équipe connaissaient bien les exigences des règles 112, 113 et 115.

1.12 Immobilisation des wagons

1.12.1 Statistiques sur les wagons partis à la dérive

Le nombre d'événements mettant en cause des wagons partis à la dérive est passé de 51 en 1996 à 41 en 1997 après l'accident survenu à Edson. En 1998, le nombre a augmenté; il est passé à 69 événements. En 1999, le nombre est passé à 45.

1.12.2 Serrage des freins

Les wagons de la rame B étaient groupés en deux blocs distincts de trois wagons chacun. Seul le wagon STEX 20520 qui était stationné à l'extrémité est, à 475 pieds du butoir, avait un frein serré. Le frein à main a été vérifié et était en bon état de fonctionnement. Le mécanisme était serré et les sabots étaient en contact avec les roues. Il était pratique courante de ne serrer qu'un seul frein par rame de wagons; cette pratique n'avait jamais entraîné d'accident à ce triage auparavant.

1.13 Attelage des wagons

Lors de la dernière manoeuvre avant l'accident, le chef de train était posté près de l'aiguillage de la voie CB17 et l'agent de train surveillait l'attelage entre les deux wagons et les six autres qu'ils venaient juste de placer pour former la rame A. La courbe de la voie CB17 et la présence de wagons sur la voie CB16 gênaient la visibilité et empêchaient les membres de l'équipe au sol et le mécanicien de voir l'extrémité est de la rame A et l'extrémité ouest de la rame B.

La rame A avait une longueur de 443 pieds et était stationnée à 251 pieds de l'aiguillage (voir la figure 2). La longueur de la rame B, lorsque les six wagons étaient attelés, était de 356 pieds. Selon les marques de roues laissées par le wagon STEX 20520, l'extrémité est de la rame B se trouvait à 475 pieds du butoir; il restait donc un espace de seulement 372 pieds pour la rame B. Comme les wagons de la rame B n'étaient pas groupés, l'espace maximum hypothétique qui pouvait exister entre la rame A et la rame B devait être inférieur à 16 pieds.

1.14 Mécanisme d'attelage des wagons

L'inspection de tous les wagons stationnés sur la voie CB17 a révélé que le wagon GATX 56715, soit le dernier wagon de la rame B, avait des marques d'impact fraîches sur les parties de l'attelage et la mâchoire d'attelage. La mâchoire, le verrou et le lance-mâchoire d'attelage étaient tous dans la position fermée. La mâchoire d'attelage du wagon de tête de la rame A, NATX 75141, était ouverte et des marques fraîches d'impact correspondaient aux marques sur le wagon GATX 56715. Le mécanisme d'attelage du wagon NATX 75141 ne fonctionnait pas correctement. On l'a démonté et examiné. Le wagon-citerne NATX 75141 était équipé d'un attelage de type SF70, mais avait un lance-mâchoire de type E-30, au lieu d'un de type F-31 qui est normalement requis. On a remonté l'attelage avec un lance-mâchoire de type F-31; il a fonctionné tout à fait normalement.

Les compagnies ferroviaires n'intègrent pas dans leur programme d'entretien les wagons loués à des compagnies privées et qui circulent sur différents réseaux ferroviaires ou les wagons appartenant à d'autres compagnies ferroviaires. Les compagnies n'assurent que l'entretien de leurs propres wagons ou des wagons dont elles font l'entretien à contrat. Cependant, comme les compagnies ferroviaires sont responsables de l'état de tous les wagons qui circulent sur leurs voies, elles doivent souvent effectuer des travaux nécessaires pour assurer la sécurité des mouvements. À cette fin, l'Association of American Railroads (AAR) a établi des règles régissant le mode de recouvrement des coûts des réparations ainsi que les normes applicables aux travaux. Ces règles sont exposées dans l'Office Manual et dans le Field Manual of the AAR Interchange Rules. Les travaux doivent être effectués dans des ateliers certifiés par l'AAR et selon les spécifications de l'AAR. Une réparation peut exceptionnellement dévier des spécifications de l'AAR si le propriétaire du wagon donne son consentement.

Les coûts des travaux effectués sur le lance-mâchoire du wagon NATX 75141 n'ont jamais été réclamés au propriétaire, la compagnie NATX. Les renseignements consignés dans les dossiers des wagons ne fournissent aucune indication sur le lieu, la date et l'entreprise qui a effectué les travaux.

1.15 État des butoirs

L'examen de plusieurs butoirs a révélé la présence de fissures anciennes ainsi qu'une ovalisation des trous des boulons d'attache. Il y avait également de la corrosion de surface dans les zones de connexion et les sections des boulons d'attache étaient réduites.

Selon le Règlement sur la sécurité de la voie de Transports Canada et les Circulaires sur les méthodes normalisées du CN, les voies de triage doivent être inspectées une fois par mois; cependant, il n'existe aucune exigence concernant l'inspection ou l'entretien des butoirs. Les dossiers du CN ne renfermaient aucune donnée relative à l'inspection des butoirs.

1.16 Supervision et contrôle interne

L'équipe travaillait sous la supervision d'un coordonnateur de train en poste à Brockville (Ontario). Selon les Instructions générales d'exploitation du CN, une des responsabilités des superviseurs consiste à :

Les dossiers du CN indiquent qu'il y a eu une violation de la règle 112 en 1995 dans la région de Cornwall; cependant, il n'y a aucune indication récente sur des inspections de contrôle par les superviseurs pour vérifier le niveau de conformité aux règles et procédures liées à l'immobilisation et l'attelage du matériel roulant.

1.17 Wagons-citernes de catégorie 111A

Les wagons-citernes de catégorie 111A, construits selon les spécifications DOT-111A aux États-Unis ou TC-111A ou CTC-111A au Canada, servent au transport de liquides inflammables, d'acides et d'autres produits corrosifs. Ces wagons sont communément appelés des wagons-citernes non pressurisés. Ils ne portent pas d'ordinaire de boucliers protecteurs, ni de capots de protection destinés à protéger les raccords supérieurs contre les dommages causés par un choc. La paroi de leur citerne correspond souvent à l'épaisseur minimale spécifiée de 7/16 de pouce. Par opposition, les wagons de catégorie 112 et 114 ont des boucliers protecteurs et des épaisseurs de paroi plus élevées.

Les données recueillies par le BST sur les accidents suggèrent que plus de 60 p. 100 des déversements de produits des wagons-citernes de catégorie 111A sont survenus par des raccords supérieurs endommagés, plus de 25 p. 100 étaient attribuables à une rupture de la structure du wagon, surtout par des perforations dans la tête ou la paroi de la citerne, et environ 10 p. 100 se sont produits par des raccords inférieurs endommagés.

Étant donné que les wagons-citernes de catégorie 111A sont plus susceptibles de déverser leur contenu lors d'un accident, le Bureau s'est préoccupé de l'utilisation de ces wagons pour le transport de certaines marchandises dangereuses, notamment celles qui présentent un risque élevé de toxicité par inhalation. Le Bureau a cru qu'on pourrait diminuer les risques en réduisant la possibilité d'un déversement de produit en améliorant le degré de protection des wagons ou en limitant les types de produits qui peuvent y être transportés (rapport no R94C0137 du BST).

1.18 Application de la Circulaire DG-1

Les voies du triage CB sont utilisées pour entreposer des wagons pour des périodes plus ou moins longues, selon les besoins des clients. Les règlements sur la manutention et l'entreposage des wagons chargés de marchandises dangereuses ont été révoqués par Transports Canada en 1995 et remplacés par la Circulaire DG-1 de l'Association des chemins de fer du Canada sur la manutention et l'entreposage des wagons de marchandises dangereuses en toute sécurité sur la propriété des chemins de fer dont la livraison a été retardée.

Selon cette circulaire, à partir du cinquième jour d'immobilisation, les wagons de marchandises dangereuses doivent être inspectés toutes les 24 ou 48 heures pour surveiller les fuites de produit. Les résultats d'inspection doivent être consignés sur des relevés qui doivent être conservés pendant deux mois après le départ des wagons.

Les dossiers du CN ne comportaient aucun document indiquant si cette procédure était suivie et respectée.

1.19 Mesures d'intervention d'urgence

Les mesures d'évacuation, le confinement du produit, le transbordement dans des camions-citernes, ainsi que le nettoyage et la récupération des sols contaminés, ont été effectués en temps opportun et avec efficacité.

2.0 Analyse

2.1 Introduction

Les mesures de sécurité prises par l'industrie et par Transports Canada après l'accident survenu à Edson ont eu des effets notables car le nombre d'événements mettant en cause des wagons à la dérive a chuté en 1997. Il a par la suite augmenté d'environ 50 p. 100 en 1998. En 1999, le nombre est revenu à un niveau similaire à celui de 1997. Cependant, l'accident à l'étude montre que des mesures additionnelles sont requises dans les domaines où la conformité rigoureuse au règlement par les employés demeure le seul outil pour assurer la santé et la sécurité des employés et des personnes qui vivent près des emprises ferroviaires.

L'analyse examinera l'application des procédures d'attelage et d'immobilisation des wagons, l'inspection et l'entretien des butoirs ainsi que le transport et l'entreposage des marchandises dangereuses en milieu urbain.

2.2 Manoeuvres et immobilisation des wagons

Les membres de l'équipe possédaient les qualifications et l'expérience nécessaires pour remplir leurs fonctions en vertu des exigences de la compagnie. Ils connaissaient bien les lieux et effectuaient des manoeuvres de routine. Les lignes directrices du CN au sujet de l'immobilisation et de l'attelage des wagons étaient précises, mais les employés ne les suivaient pas. Les procédures mises en place divergeaient donc de celles formulées par la compagnie et il n'y avait pas de programme de surveillance et de contrôle en place dans le secteur pour empêcher le personnel de recourir à des procédures non conformes aux directives de la compagnie. Durant leurs manoeuvres, les membres de l'équipe n'ont pas observé les règles du REF et les instructions spéciales connexes qui s'appliquent à l'immobilisation et l'attelage du matériel roulant (règles 112, 113 et 115). Par ailleurs, comme la voie avait une faible pente et qu'elle était munie de butoirs d'extrémité, les membres de l'équipe percevaient les risques de dérive comme étant faibles; par conséquent, les pratiques mises en place étaient considérées comme satisfaisantes et étaient de surcroît moins contraignantes.

Les wagons de la rame B avaient été stationnés en deux blocs distincts; cependant, le frein à main n'était serré que sur un seul wagon, alors que les instructions du CN exigent que deux freins à main soient serrés pour chaque bloc de wagons. En effectuant des manoeuvres, les membres de l'équipe étaient situés à des endroits d'où ils ne pouvaient voir ni le bout de la rame qu'ils poussaient ni les wagons déjà immobilisés. Sans un membre de l'équipe pour contrôler le mouvement, il devenait très difficile d'éviter un contact entre les rames car il n'y avait théoriquement qu'un espace de manoeuvre de 16 pieds entre la rame A et la rame B. Les marques d'impact fraîches sur les mâchoires des wagons d'extrémité des deux rames démontrent qu'il y a eu contact entre les rames. Dans des conditions normales, le contact entre les rames aurait enclenché le mécanisme d'attelage et raccordé les deux rames ensemble. Cependant, comme du matériel d'attelage non approprié avait été installé sur le wagon NATX 75141 lors de réparations, l'attelage n'a pas eu lieu. Les trois premiers wagons de la rame B, qui n'étaient pas du tout immobilisés par des freins à main, ont commencé à se déplacer puis ont percuté le reste de la rame. Sous l'impact, les trois autres wagons sont alors partis à la dérive car le seul frein à main qui était serré était insuffisant pour les retenir.

2.3 Mécanisme d'attelage

Il a été impossible d'identifier le lieu et la date des travaux effectués sur l'attelage du wagon NATX 75141. Comme les réparations n'ont pas été consignées dans les dossiers du wagon et que les coûts de réparation n'ont pas été réclamés à la compagnie, il se pourrait que l'installation d'un lance-mâchoire de type E-30 au lieu d'un lance-mâchoire de type F-31 ait été intentionnelle. Ceci aurait pu avoir lieu parce que les répercussions de l'installation d'une pièce non appropriée n'ont peut-être pas été adéquatement évaluées, mais il se pourrait aussi que les réparations aient été effectuées à titre temporaire lors de travaux d'urgence sur la voie principale et que, par la suite, les travaux de rectification ont été omis. Il s'agit probablement d'un cas isolé car le règlement de l'AAR régissant le recouvrement des coûts des travaux effectués sur des wagons appartenant à d'autres compagnies ne favorise pas ce genre de situation.

2.4 État des butoirs

Les butoirs sont installés sur les voies sans issue dans le but d'empêcher les wagons de dépasser le bout de la voie et de dérailler. Néanmoins, le butoir en place sur la voie CB17 n'a pu remplir sa fonction même lors d'un impact à basse vitesse. La présence de fissures anciennes et l'ovalisation des trous de boulons montrent que les butoirs du triage CB avaient déjà été mis à l'épreuve et avaient arrêté des mouvements. Cependant, ils n'étaient plus entretenus et étaient détériorés au point où ils ne pouvaient plus remplir la tâche pour laquelle ils avaient été conçus. Les dossiers du CN ne contenaient aucune donnée relative à l'inspection des butoirs et d'ailleurs ni le Règlement sur la sécurité de la voie de Transports Canada ni les Circulaires sur les méthodes normalisées du CN ne renferment de dispositions régissant l'inspection ou l'entretien des butoirs. Sans programme d'inspection et d'entretien, cet équipement qui a un rôle important à jouer dans la sécurité des opérations peut devenir inopérant, faisant ainsi augmenter les risques pour le public.

2.5 Wagons-citernes de catégorie 111A

Même si les wagons-citernes de la rame B ont percuté le butoir à très faible vitesse, la citerne n'a pas résisté au choc et s'est perforée. À cause de la faible épaisseur de la paroi de la citerne et de l'absence de bouclier protecteur, les wagons-citernes de catégorie 111A ne disposent pas en général d'une protection adéquate contre la perte de contenu, même lors d'impacts mineurs.

2.6 Entreposage des marchandises dangereuses

Selon la Circulaire DG-1, les wagons de marchandises dangereuses doivent être inspectés toutes les 24 ou 48 heures pour surveiller les fuites de produit. Cependant, il n'y avait aucun document dans le triage de Cornwall indiquant si cette procédure était suivie pour les marchandises dangereuses réglementées. Certains des wagons-citernes en cause dans l'accident étaient stationnés sur la voie CB17 depuis un mois mais n'avaient jamais été inspectés durant cette période, et n'étaient pas tenus de l'être. Ces wagons transportaient une marchandise dangereuse qui n'est pas réglementée au Canada; donc, leur entreposage n'est pas régi par la Circulaire DG-1, même si leur contenu était inflammable et présentait des risques pour la population avoisinante.

Les fuites ou les déversements de marchandises dangereuses (réglementées ou non) peuvent compromettre la sécurité des personnes et de l'environnement. Les risques sont encore plus élevés lorsqu'il s'agit d'entreposage sur des voies de triage en milieu urbain. Il est donc impératif que les règlements de sécurité en vigueur et, en particulier, la Circulaire DG-1 soient mis en application.

2.7 Intervention et nettoyage des lieux

Le confinement du produit, le contrôle et le nettoyage des lieux ont été faits en temps opportun et avec efficacité. La protection des lieux et les mesures mises en place pour assurer la sécurité du public et du personnel chargé de confiner et de nettoyer les lieux ont été appropriées et bien exécutées.

3.0 Conclusions

3.1 Faits établis quant aux causes et facteurs contributifs

  1. Il n'y avait théoriquement qu'un espace de manoeuvre de 16 pieds entre la rame A et la rame B. Il était difficile d'éviter un contact entre les rames sans qu'il y ait un membre de l'équipe pour contrôler le mouvement.
  2. Le contact entre les rames aurait dû enclencher le mécanisme d'attelage et raccorder les deux rames ensemble, mais l'attelage n'a pas eu lieu car le wagon-citerne NATX 75141 était équipé d'un lance-mâchoire d'attelage non conforme aux spécifications de l'Association of American Railroads (AAR).
  3. Les wagons de la rame B sont partis à la dérive car le seul frein à main qui était serré était insuffisant pour les retenir.
  4. Les lignes directrices du Canadien National (CN) sur l'immobilisation et l'attelage des wagons étaient précises mais n'étaient pas respectées. Les employés n'ont pas observé les règles du Règlement d'exploitation ferroviaire du Canada (REF) et les instructions spéciales connexes qui s'appliquent à l'immobilisation et l'attelage du matériel roulant (règles 112, 113 et 115).
  5. Il n'y avait pas de programme de surveillance et de contrôle en place dans le secteur pour empêcher le personnel de recourir à des procédures non conformes aux directives de la compagnie.
  6. Les risques de dérive au triage CB étaient perçus comme étant faibles car les voies avaient des pentes faibles et étaient munies de butoirs d'extrémité. Cependant, les butoirs d'extrémité étaient détériorés au point où ils ne pouvaient plus remplir la tâche pour laquelle ils avaient été conçus.
  7. Vu la faible épaisseur de la paroi de la citerne et l'absence d'un bouclier protecteur, les wagons-citernes de catégorie 111A ne disposent pas en général d'une protection adéquate contre la perforation, même lors d'impacts à faible vitesse.

3.2 Autres faits établis

  1. Rien n'indique que les exigences de la Circulaire DG-1 étaient suivies dans le triage de Cornwall; par conséquent, l'entreposage en milieu urbain des wagons chargés de marchandises dangereuses réglementées et non réglementées faisait courir des risques à la communauté et l'environnement en cas de déversement.
  2. Le confinement et le contrôle de la marchandise dangereuse ainsi que le nettoyage et le contrôle du lieu du déraillement ont été exécutés avec professionnalisme.
  3. Sans programme d'inspection et d'entretien, de l'équipement qui a un rôle important à jouer dans la sécurité des opérations peut devenir inopérant, ce qui fait ainsi courir plus de risques au public.

4.0 Mesures de sécurité

4.1 Mesures prises

En septembre 1999, le Canadien National (CN) a publié de nouvelles instructions relatives à l'antenne Wesco à Cornwall. Ces instructions exigent que tout matériel roulant doit être regroupé et immobilisé avec un nombre suffisant de freins à main tel qu'exigé par les instructions spéciales pour la règle 112. De plus, les wagons doivent être appuyés sur les butoirs, sur les voies ainsi équipées. Un arrêt complet doit être fait de 6 à 12 pieds avant tout attelage. Pour les voies équipées de demi-lunes, les mêmes instructions s'appliquent, sauf que le matériel roulant doit être laissé entre 6 pieds et 12 pieds des demi-lunes. En octobre 1999, le CN a fait appliquer ces instructions à plusieurs embranchements et voies industrielles de la subdivision Kingston.

Le CN a modifié en rattrapage les butoirs et a modifié le tracé de la voie au triage CB à Cornwall. On a retiré les voies CB19 et CB20 et raccourci les autres voies de 500 pieds; l'entreposage se fait donc un peu plus loin des commerces avoisinants.

Transports Canada, par l'entremise du comité sur les wagons-citernes de l'Association of American Railroads, essaie de modifier la conception des nouveaux wagons-citernes de catégorie 111 et de mieux protéger les raccords supérieurs des wagons nord-américains non pressurisés les plus susceptibles de laisser échapper leur contenu lors d'un accident. En outre, les nouveaux wagons-citernes de catégorie 111A faits d'aluminium et de nickel et transportant des marchandises dangereuses devront être équipés d'un bouclier protecteur.

4.2 Préoccupations liées à la sécurité

Le Bureau constate que le CN a essayé d'atténuer les risques liés à l'immobilisation du matériel roulant et aux manoeuvres dans la région de Cornwall. Le Bureau reconnaît aussi que ces mesures ont également été prises sur plusieurs embranchements et voies industrielles de la subdivision Kingston. Cependant, le Bureau remarque que ni le CN ni Transports Canada n'ont évalué si les lacunes qui ont contribué à l'accident à l'étude sont présentes ailleurs dans le réseau. Par conséquent, le Bureau est préoccupé par le fait que les risques liés à l'immobilisation du matériel roulant et aux manoeuvres n'ont pas été entièrement évalués.

Le Bureau remarque que le CN a amélioré les butoirs dans la région de Cornwall. Toutefois, rien n'indique que l'industrie prend d'autres mesures de sécurité. Le Bureau est inquiet du fait que l'absence de normes relativement à l'inspection et à l'entretien de butoirs de la part des compagnies ferroviaires et de l'organisme de réglementation peut donner lieu à des programmes d'inspection et d'entretien inadéquats. Sans entretien, de l'équipement qui a un rôle important à jouer dans la sécurité de l'exploitation ne peut servir à cette fin, ce qui fait ainsi courir plus de risques au public.

Le présent rapport met fin à l'enquête du Bureau de la sécurité des transports sur cet accident. Le Bureau a autorisé la publication du rapport le .