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Rapport d'enquête maritime M13L0055

Mort accidentelle
Vraquier Federal Yoshino
Baie Comeau (Québec)
le



Le Bureau de la sécurité des transports du Canada (BST) a enquêté sur cet événement dans le but de promouvoir la sécurité des transports. Le Bureau n’est pas habilité à attribuer ni à déterminer les responsabilités civiles ou pénales. Le présent rapport n’est pas créé pour être utilisé dans le contexte d’une procédure judiciaire, disciplinaire ou autre. Voir Propriété et utilisation du contenu.

Résumé

Le 8 mai 2013, à 14 h 55 (heure avancée de l'Est), le vraquier Federal Yoshino mouille au large de Baie Comeau (Québec), lorsque l'un des membres de l'équipage est mortellement blessé à la suite d'une chute. Le membre d'équipage réalise des travaux en hauteur au moyen d'une nacelle en acier suspendue par la grue de charge électrique de bord lorsque le câble de levage se rompt. La nacelle, dans laquelle prend place le membre d'équipage, tombe d'environ 5 m avant de percuter le pont du navire. Le membre d'équipage est transporté à l'hôpital, où l'on ne peut que constater son décès.

Renseignements de base

Fiche technique du navire

Nom du navire Federal Yoshino
Numéro OMI 9218416
Port d’immatriculation Majuro
Pavillon Îles Marshall
Type Vraquier
Jauge brute 19 125
LongueurNote de bas de page 1 190,43 m
Tirant d’eau au moment de l’événement Proue : 4,25 m
Poupe : 6,25 m
Construction 2001, Kanasashi Co. Ltd., Japon
Propulsion Un moteur diesel à 2 temps et à simple effet, développant 7061 kW à 133 tours/minute
Cargaison Lest
Membres d’équipage 22
Propriétaire enregistré Baffin Investments Ltd., Canada
Gestionnaire Intership Navigation Ltd., Limassol, Chypre

Description du navire

Le Federal Yoshino est un porteur de vrac solide construit en acier; la salle des machines et les quartiers d’équipage se trouvent en poupe (photo 1). Les 6 cales et écoutilles de chargement sont desservies par 3 grues électro-hydrauliques d’une capacité de 30 tonnes installées dans l’axe longitudinal du navire. Le navire est muni d’un pont roulant situé dans la salle des machines, et de 2 grues de charge commandées par moteur électrique situées de part et d’autre du pont D, derrière les quartiers d’équipage (annexe A). La grue de charge bâbord a une capacité de 3 tonnes et une portée qui varie de 2,75 m à 8 m. La grue de charge tribord a une capacité de 0,9 tonne et une flèche fixe. Celle-ci n’était pas en service au moment de l’événement. La passerelle est munie de tout le matériel de navigation nécessaire.

Photo 1. Federal Yoshino
Navire Federal Yoshino, décrit au-dessus

Déroulement du voyage

Le 14 avril 2013, le Federal Yoshino a quitté Point Comfort (Texas), aux É.-U., à destination de Baie-Comeau (Québec). Le avire transportait alors 25 198 tonnes d’alumine. Le 25 avril, le navire est arrivé au quai Alcoa, à Baie-Comeau, et a entrepris le déchargement de sa cargaison. Cette activité s’est terminée tôt le matin du 27 avril, après quoi le navire a quitté le quai pour gagner son poste de mouillage dans la baie des Anglais, à environ 1 nm (annexe B), où il a attendu l’arrivée d’une cargaison de céréales. Pendant que le navire était au mouillage, l’équipage a entrepris des travaux d’entretien général à bord.

Le 3 mai, une inspection mensuelle planifiée de la grue de charge bâbord a eu lieu dans le cadre des travaux d’entretien général. Le bon de travail, qui avait été généré par le système de gestion de l’entretien de l’entreprise, exigeait entre autres l’essai des interrupteurs de fin de course de la grueNote de bas de page 2 et le déroulage des câbles de levage et de la flèche de grue de leur tambour respectif afin de les inspecter pour y déceler de la corrosion et des brins brisés. L’électricienNote de bas de page 3 a inspecté les interrupteurs de fin de course, et le maître d’équipage a inspecté les câbles avec l’aide d’un matelotNote de bas de page 4. On a ensuite graissé les câbles avant de les enrouler de nouveau sur leurs tambours.

Le 6 mai, l’ajusteurNote de bas de page 5 a entrepris des réparations sur une section corrodée de l’évent de la salle des machines. Cet évent, situé sur le pont C, se trouve à une hauteur d’environ 5 m (annexe C). L’ajusteur a donc suspendu une nacelle en acier à la grue de charge bâbord, est monté dans la nacelle et s’est servi de la télécommande de la grue pour manœuvrer la nacelle jusqu’à la zone corrodée pour entreprendre les travaux d’entretien en hauteur. L’ajusteur a utilisé la même méthode de travail le 7 mai.

Le 8 mai, vers 6 h 45Note de bas de page 6, le maître d’équipage s’est réuni avec le capitaine en second pour planifier l’affectation des travaux d’entretien pour la journée. Les tâches prioritaires comprenaient le piquage et la peinture de la grue de charge no 2 et de sa flèche, ainsi que le piquage et la peinture du mât principal en poupe. Trois membres d’équipage avaient été affectés à ces travaux et, étant donné qu’il s’agissait de travail en hauteur, le capitaine en second a préparé 3 permis de travail pour ce faire. Ces permis remplis et signés, les membres d’équipage ont gréé des plateformes volantesNote de bas de page 7 et ont commencé à travailler. Le maître d’équipage et le capitaine en second avaient également discuté d’une tâche additionnelle : repeindre la section de l’évent de la salle des machines qu’avait réparée l’ajusteur. Au début de l’après-midi, le maître d’équipage a pris l’initiative de commencer ces travauxNote de bas de page 8. Il est monté dans une nacelle en acier attachée à la grue de charge bâbord, la même que l’ajusteur avait utilisée le jour précédent. Ayant fixé son harnais de sécurité au crochet de la grue, le maître d’équipage est monté dans la nacelle et s’est servi de la télécommande de la grue pour manœuvrer la nacelle jusqu’à la partie supérieure de l’évent.

Juste avant 15 h, le maître d’équipage a interrompu son travail pour faire une pause. Au moyen de la télécommande, le maître d’équipage a entrepris de manœuvrer la nacelle, de l’évent bâbord vers le centre du navire, en vue d’abaisser celle-ci du côté tribord du pont C (annexe D). Au même moment, le troisième officier faisait une vérification de sécurité de l’équipement de sûreté du côté tribord du pont C lorsqu’il a entendu une giclée sur le pont. Le liquide provenait de la nacelle en acier que manœuvrait le maître d’équipage vers le pont. Le troisième officier a averti le maître d’équipage que de la peinture s’était déversée sur le pont, et le maître d’équipage a répondu au troisième officier, confirmant ainsi avoir bien entendu. Le troisième officier s’est déplacé vers l’endroit où la peinture avait été déversée, et c’est à ce moment qu’il a entendu un claquement. Le troisième officier a levé les yeux et a fait un pas en arrière au moment même où la nacelle avec le maître d’équipage à son bord faisait une chute d’environ 5 m. La nacelle est tombée sur un garde-fou devant la cheminée sur le pont C, directement devant le troisième officier (annexe D). L’ensemble de la poulie et des élingues qui retenaient la nacelle au crochet de la grue ont atterri dans la nacelle (animation 3DNote de bas de page 9). Immédiatement après l’accident, les membres d’équipage ont retiré le maître d’équipage de la nacelle pour lui prodiguer les premiers soins.

Vers 15 h 3, les Services de communication et de trafic maritimes (SCTM) de Les Escoumins ont reçu un appel du Federal Yoshino réclamant des soins médicaux. Le remorqueur Pointe Comeau, qui était amarré au quai Cargill, a été dépêché pour transporter des ambulanciers au navire afin de porter secours au blessé. Peu après 16 h, le maître d’équipage est arrivé à l’hôpital, où l’on a constaté son décès.

Information environnementale

Au moment de l’événement, le ciel était dégagé et la visibilité était d’environ 5 milles dans la région de Baie-Comeau. Des vents de 10 à 12 nœuds soufflaient du SE, et la mer était calme. La température était d’environ 18 °C.

Certification et expérience du personnel

Le capitaine, les officiers et les membres de l’équipage détenaient tous un certificat de compétence valide pour le navire et la traversée entreprise. Le capitaine détenait un certificat de compétence de capitaine au long cours et depuis mars 2012, avait rempli les fonctions de capitaine à bord de divers navires appartenant à la même société. Le capitaine s’était joint au Federal Yoshino en janvier 2013.

Le capitaine en second détenait un certificat de compétence de premier officier de pont et, depuis juillet 2005, avait rempli ces fonctions à bord de différents navires; le capitaine en second s’était joint au Federal Yoshino en février 2012 et occupait ce poste depuis cette date.

Le maître d’équipage obtenu un certificat de matelot de pontNote de bas de page 10 le 27 mai 2008 et était au service de la société depuis le 25 mars 2007. Le maître d’équipage s’était joint au Federal Yoshino le 28 novembre 2012.

Certificats du navire

Le Federal Yoshino était doté d’un équipage, était gréé et certifié conformément aux règlements en vigueur et détenait un Certificat de gestion de la sécurité délivré par l’organisme reconnu Det Norske Veritas (DNV). Le navire se conformait ainsi aux exigences du Code international de gestion pour la sécurité de l’exploitation des navires et la prévention de la pollution (code ISM).

Certification de la grue

Le navire détenait uncertificat d’essai et d’examen rigoureux des grues et palans de même que de leur matériel accessoire [Certificate of Test and Thorough Examination of Cranes or Hoists and their Accessory Gear] qui était valide pour les 3 grues à crochet, la grue de charge bâbord, et un pont roulant situé dans la salle des machines. Délivré le 30 janvier 2011 par Nippon Kaiji Kyokai (NKK), ce certificat était valide pour une période de 5 ans, sous condition d’inspections annuelles. Les grues avaient fait l’objet d’inspections annuelles en janvier 2012 et 2013Note de bas de page 11; ces 2 inspections et les validations subséquentes étaient indiquées dans le registre des appareils de levage du navire.

Une inspection de certification menée par un organisme reconnu comme NKK ou DNV évalue si une grue convient à l’utilisation à laquelle on la destine. Étant donné que la grue de charge bâbord ne devait servir qu’au transbordement de vivres, elle avait été inspectée et certifiée uniquement en vue de cette tâche.

Grue de charge bâbord

Sur le Federal Yoshino, la grue de charge bâbord avait pour fonction de transborder du matériel (p. ex., pièces de moteur, fournitures de cuisine et équipement de pont) entre le navire et le quai. La grue de charge bâbord était munie d’une télécommande à boutons grâce à laquelle l’utilisateur pouvait manœuvrer la grue depuis divers points d’observation sur le pont. La télécommande permet de faire monter et descendre le crochet, de faire pivoter la grue vers la gauche ou vers la droite, et de faire monter et descendre la flèche. Le rayon maximum de la flèche était de 8 m (à un angle de 25°) et son rayon minimum était de 2,75 m (à un angle de 75°). Les photos prises après l’événement montrent que l’angle de la flèche était d’environ 45° au moment de l’accident.

La poulieNote de bas de page 12 de la grue de charge bâbord était fabriquée en acier et comprenait un crochet et une roue à gorge (annexe E). La roue à gorge recevait un câble de levage d’un diamètre de 10 mm et elle était maintenue par des plaques latérales renforcées par des entretoises. Un examen des entretoises après l’événement a révélé que l’une d’elles (celle où le câble de levage sortait de la roue à gorge en direction du treuil de levage) avait subi une déformation plastiqueNote de bas de page 13 (annexe E).

Interrupteur de fin de course

La plupart des fabricants de grues dotent leur matériel d’un interrupteur de fin de course. Dans le cas de la grue de charge bâbord, le treuil de levage (qui sert à enrouler et à dérouler le câble de levage) était entraîné par un moteur électrique raccordé à un interrupteur de fin de course. Ce dispositif se trouve en tête de flèche (figure 1) et fonctionne avec un aimant fixé sur un bras pivotant qui empêche la poulie d’entrer en contact avec la tête de flèche, et de surcharger le câble de levage.

Lorsque la poulie se déplace à l’intérieur des limites établies, l’aimant fixé sur le bras pivotant se trouve aligné avec l’interrupteur de fin de course et crée ainsi un circuit électrique fermé qui permet le fonctionnement du moteur. Toutefois, si la poulie, dans sa course ascendante, dépasse la limite établie, elle entre en contact avec la butée du limiteur de course (figure 1). Ce contact avec le limiteur de course fait pivoter le bras vers le haut et entraîne le désalignement de l’aimant et de l’interrupteur de fin de course; le circuit électrique est alors ouvert et l’alimentation électrique au moteur est coupée. Pour activer l’interrupteur de fin de course, le bras doit pivoter d’environ 10° vers le haut (animation 3DNote de bas de page 14). Après l’événement, on a constaté que le bras pivotant se trouvait à un angle d’environ 90° par rapport à l’interrupteur de fin de course.

Figure 1. Vue latérale de la tête de flèche et des composants de l'interrupteur de fin de course (gauche) et vue de face de la tête de flèche (droite). Se reporter à l'annexe C pour obtenir une vue complète de la grue de charge bâbord.
Vue latérale de la tête de flèche, décrit au-dessus

Pour que le limiteur de course fonctionne comme prévu, il a été conçu de manière à ce que le câble de levage passe dans une ouverture pratiquée dans sa butée (photo 2). Ainsi, la butée du limiteur de course se trouve liée au câble de levage et maintient le limiteur de course aligné sur la poulie (tout en permettant au câble de levage de se déplacer librement par l’ouverture pratiquée dans la butée). Sous tension et passé correctement dans l’ouverture de la butée, le câble de levage se trouverait normalement parallèle au limiteur de course et à une distance d’environ 10 cm de celui-ci (figure 1, vue de face).

Après l’événement, on a constaté que la structure du limiteur de course était intacte. On pouvait dénoter de la graisse sur la tige même du limiteur, mais peu de graisse se trouvait sur la butée. Entre l’ouverture par laquelle passe le câble de levage et le bord de la butée se trouvait une fente d’une largeur d’environ 10 mm (photo 2).

Photo 2. Le limiteur de course en place au moment de l'événement
Le limiteur de course en place au moment de l'événement, décrit au-dessus

Après l’accident, l’équipage a changé l’interrupteur de fin de course. À la demande du Bureau de la sécurité des transports (BST), le capitaine lui a remis l’interrupteur de fin de course qui était en place au moment de l’événement. Ce dispositif a fait l’objet d’un essai au banc pour déterminer sa continuité au moyen d’un multimètre et de 2 aimants de puissance différente; l’interrupteur fonctionnait correctement.

Exigences concernant les grues de bord

DNV, qui avait fait l’inspection des grues du Federal Yoshino en 2013, a des règles et des exigences particulières concernant les grues de bord qui servent au levage du personnel. Entre autres, DNV précise que le câble de levage doit avoir un facteur de sécurité minimum de 8, et que les treuils doivent être munis de 2 freins indépendants sur les plans mécanique et fonctionnel.

Le câble de levage en place au moment de l’événement vait un facteur de sécurité de 5, soit la norme pour les grues de charge. Les treuils de la grue de charge bâbord n’étaient pas munis de freins indépendants.

Nacelle en acier

Pour faciliter le transbordement de matériel, l’équipage du Federal Yoshino se servait d’une nacelle en acier que l’on pouvait attacher aux grues de charge. Fabriquée par l’équipage du navire, cette nacelle était faite de cornières et de plats en acier, et d’un grillage métallique (photo 3). Elle pesait 200 kgNote de bas de page 15 et mesurait 96 cm de haut. Sa base mesurait 102 cm sur 132 cm.

Photo 3. Nacelle en acier à bord du Federal Yoshino
Nacelle en acier à bord du Federal Yoshino, décrit au-dessus

Au moment de l’événement, la nacelle était attachée au crochet de la grue de charge bâbord par 2 élingues en nylon d’une longueur approximative de 4,2 m. Ces élingues étaient attachées à la nacelle au moyen de 4 manilles. Un examen post-événement a permis de constater que les élingues en nylon étaient usées (photo 4) et que 2 des 4 manilles indiquaient leur charge admissible. Aucun des manillons filetés des 4 manilles n’était mouchetéNote de bas de page 16.

Photo 4. Ampleur de l'usure des élingues en nylon
Ampleur de l'usure des élingues en nylon, décrit au-dessus

Normes de sécurité des nacelles de levage

Si DNV n’a aucune norme particulière pour la construction et la certification des nacelles de levage, l’organisme a cependant des instructions que doivent suivre ses vérificateurs lorsqu’ils utilisent cet équipement pour faire leurs vérifications à bord. Ces instructions stipulent que la nacelle ou la plateforme et le matériel de levage doivent être certifiés pour la charge admissible pertinente et certifiés pour le transport des personnes. Elles spécifient en outre que le matériel doit faire l’objet d’une inspection immédiatement avant toute opération de levage afin de vérifier :

Transports Canada (TC) a établi des règles concernant l’inspection et les essais d’appareils de transbordement du personnel, notamment les nacelles de levageNote de bas de page 17. TC précise que ces appareils doivent faire l’objet d’une inspection et d’un essai avant leur mise en service, après toute modification, et une fois par 12 mois. Ces inspections doivent être faites par une personne compétente, et un carnet d’inspection doit être conservé à bord du navire. TC précise en outre que ces appareils doivent être « inspectés et trouvés en bon état d’entretien avant chaque utilisation, et tous les cordages, câbles ou autres pièces vitales qui présentent des signes d’usure importante doivent être remplacés avant d’utiliser l’appareil »Note de bas de page 18.

Procédures à suivre pour travailler en hauteur

On définit le travail en hauteur comme tout travail réalisé à une hauteur qui présente un risque de blessure en cas de chute. Ce travail se fait habituellement au moyen de plateformes volantes, de chaises de gabier ou d’échelles mobiles et fait appel à de l’équipement de protection, p. ex., des cordages ou harnais de sécurité. Le système de gestion de la sécurité (SGS) à bord du Federal Yoshino comprenait une liste de vérification des permis de travail que devaient remplir les officiers responsablesNote de bas de page 19 avant l’exécution de travaux en hauteur. La liste de vérification comprenait, entre autres éléments, la prise en considération des conditions météorologiques et de l’état de la mer, le port d’équipement de protection individuelle approprié, et l’assurance que les travaux étaient exécutés par des personnes compétentes.

Dans la section intitulée « Instructions diverses » (Various instructions), la liste stipule [traduction] : « S’il est nécessaire de lever une personne dans les hauteurs ou par-dessus le bastingage, cela doit être fait à la main et jamais par des moyens mécaniques (treuil, grue, etc.) ».L’officier responsable devait remplir la liste de vérification, qui devait ensuite être signée par cet officier et le membre d’équipage auquel étaient confiés les travaux.

Durant la semaine au cours de laquelle s’est produit l’événement, l’ajusteur avait utilisé la grue de charge et la nacelle à 2 reprises pour réaliser des travaux en hauteur. À ces 2 occasions, un permis de travail pour des travaux en hauteur avait été délivré (annexe F), et le capitaine savait que l’ajusteur avait utilisé la grue de charge bâbord et la nacelle à cette fin.

Événement précédent

Le 24 février 2013, un événement semblable a eu lieu à Baie-Comeau (Québec), à bord du Federal Leda. Dans ce cas-là, le capitaine en second, qui vérifiait le tirant d’eau du navire alors qu’il était suspendu dans une nacelle, était tombé à l’eau et avait subi de légères blessuresNote de bas de page 20. D’après le rapport fait à la société, le câble de levage de la grue de charge s’était rompuNote de bas de page 21. Comme mesure corrective, le capitaine du Federal Leda avait déclaré qu’à l’avenir, le câble de levage de bord devait être soigneusement inspecté avant chaque utilisation.

Les navires Federal Leda et Federal Yoshino sont la propriété de différentes sociétés, mais ils ont la même société de gestion.

Analyse

Événements qui ont mené à la mort accidentelle

Au moment de l’événement, le maître d’équipage travaillait seul en se servant d’une grue qui n’était pas conçue pour lever le personnel. Pendant que le maître d’équipage manœuvrait la grue, la poulie a dépassé la limite établie de sa course, sans toutefois activer l’interrupteur de fin de course, et le moteur électrique est demeuré en marche. La vue qu’avait le maître d’équipage de la poulie depuis l’intérieur de la nacelle était obstruée, ce qui l’a empêché de constater que la poulie avait dépassé la limite établie de sa course. La poulie est entrée en contact avec la face inférieure de la tête de flèche, et le treuil a continué d’enrouler le câble; cette action a imposé une surcharge sur le câble de levage, qui est entré en contact avec l’entretoiseNote de bas de page 22. Cette combinaison de surcharge et de contact avec l’entretoise a rompu le câbleNote de bas de page 23 Note de bas de page 24, ce qui a entraîné la chute libre de la nacelle depuis une hauteur de 5 m. On a mené le maître d’équipage à l’hôpital, où on n’a pu que constater son décès.

Échec d’activation de l’interrupteur de fin de course

Dans l’événement en cause, l’interrupteur de fin de course ne s’est pas activé comme il le devait pour couper l’alimentation électrique au moteur. L’examen a toutefois montré que ce dispositif était en bon état de fonctionnement et que la structure du limiteur de course était intacte. Il est probable que l’interrupteur de fin de course n’ait pas été activé parce que le câble de levage n’avait pas été passé dans l’ouverture de la butée du limiteur de course. Dans ce cas, le limiteur de course non installé aurait simplement été poussé vers le côté par la poulie plutôt que vers le haut, et l’interrupteur de fin de course n’aurait pas été activé (voir l’animation 3D )Note de bas de page 25.

L’absence de graisse sur la butée du limiteur de course et l’abondance de graisse sur le limiteur lui-même indiquent un gréement fautif du câble de levage et du limiteur de course. Le câble de levage en cause dans cet événement avait été graissé à peine 5 jours plus tôt. Dans une situation où un câble de levage fraîchement graissé passe à travers l’ouverture dans la butée, on s’attendrait à ce que le câble laisse de la graisse sur la butée; toutefois, celle-ci présentait une quantité minimale de graisse. De plus, il y avait beaucoup de graisse sur le limiteur de course, ce qui donne à croire que celui-ci pendait librement le long du câble et frottait contre ce dernierNote de bas de page 26.

Durant des travaux d’entretien courant, le 3 mai, il se peut que le câble de levage ait été retiré de la butée du limiteur de course pour faciliter son graissage et qu’il n’ait pas été remis en place à la fin des travaux.

Travail en hauteur

Matériel

Le travail en hauteur comporte des risques inhérents de chute; ainsi, il est important que le matériel qui sert au levage du personnel, p. ex., les nacelles, les grues et les gréements, soit certifié pour ces travaux et fasse l’objet d’inspections et d’entretiens réguliers. On réduit également les risques de chute en vérifiant que ce matériel est muni des dispositifs de sécurité nécessaires (comme un câble de levage au facteur de sécurité plus élevé et une capacité de freinage additionnelle sur les treuils de levage de la poulie et de relevage de la flèche de grue).

À bord du Federal Yoshino, on utilisait la grue de charge bâbord pour lever le personnel malgré le fait que celle-ci n’était pas conçue à cette fin : elle n’était pas certifiée pour lever le personnel, son câble de levage n’avait pas le facteur de sécurité requis et la grue n’avait pas de capacité de freinage additionnelle. En outre, ni la nacelle, ni le gréement ne faisaient l’objet d’un entretien régulier, étant donné que ces éléments ne faisaient pas partie du système de gestion de l’entretien de la société. Lorsque l’on réalise des travaux en hauteur avec du matériel qui n’est pas conçu à cette fin, on accroît les risques de blessure ou de mort des membres d’équipage.

Méthodes de travail

Les sociétés qui doivent adhérer au Code international de gestion de la sécurité de l’exploitation des navires et la prévention de la pollution (Code ISM) sont tenues de développer des procédures pour réduire les risques liés aux diverses tâches à bord de navires. Ces procédures peuvent comprendre des aide-mémoire pour rappeler aux membres d’équipage d’adhérer aux stratégies établies et ainsi réduire les risques.

Étant donné les risques inhérents au travail en hauteur, la liste de vérification du permis de travail du Federal Yoshino précisait que le levage d’un membre d’équipage devait se faire à la main et non par un moyen mécanique (treuil, grue, etc.). Toutefois, il n’y avait aucune indication que l’on faisait respecter cette procédure à bord, malgré le fait que la grue de charge bâbord n’était pas conçue pour lever le personnel et qu’il n’y avait aucune pratique de travail sécuritaire en place pour réduire les risques (p. ex., l’exigence d’avoir un opérateur de grue spécialisé ou encore que l’opérateur vérifie les interrupteurs de fin de course avant l’utilisation de la grue).

Si l’on ne fait pas respecter les procédures en place pour assurer la sécurité de l’équipage, on accroît les risques de blessure ou de mort parmi les membres d’équipage.

Faits établis

Faits établis quant aux causes et aux facteurs contri butifs

  1. Malgré le fait que la grue n’était pas conçue pour lever le personnel, celui-ci l’utilisait néanmoins pour exécuter des travaux en hauteur.
  2. L’interrupteur de fin de course n’a pas coupé l’alimentation électrique au moteur du treuil lorsque la poulie a dépassé la limite établie de sa course, probablement parce que le limiteur de course était mal installé.
  3. La vue qu’avait le maître d’équipage de la poulie depuis l’intérieur de la nacelle était obstruée, ce qui l’a empêché de constater que la poulie avait dépassé sa limite établie.
  4. La poulie est entrée en contact avec la face inférieure de la flèche, et le treuil a continué d’enrouler le câble de levage; celui-ci s’est rompu, et la nacelle a fait une chute d’une hauteur d’environ 5 m.

Faits établis quant aux risques

  1. Lorsque l’on réalise des travaux en hauteur avec du matériel qui n’est pas conçu à cette fin, on accroît les risques de blessure ou de mort des membres d’équipage.
  2. Si l’on ne fait pas respecter les procédures en place pour assurer la sécurité de l’équipage, on accroît les risques de blessure ou de mort parmi les membres d’équipage.

Mesures de sécurité

Mesures de sécurité mises en place

Fednav Limited

Après cet événement, Fednav Limited a immédiatement ordonné à Intership Navigation Company Limited de cesser d’utiliser les grues de charge pour lever le personnel. Fednav Limited a également indiqué que les futures inspections des navires dont elle est propriétaire allaient mettre l’accent sur les pratiques de travail sécuritaire.

Intership Navigation Company Limited

Le 9 mai 2013, soit le lendemain de l’accident, le service Sécurité et Assurance de la qualité a émis à l’intention de tous les navires sous la direction d’Intership Navigation Company Limited un bulletin de sécurité et sûreté (annexe G) qui interdit strictement l’utilisation d’une nacelle avec la grue pour le transport ou les travaux du personnel, et ce, jusqu’à nouvel ordre. Le bulletin soulignait que certaines vérifications et mesures de sécurité devaient être établies pour éviter toute répétition d’un tel événement et que, jusqu’à nouvel ordre, le capitaine devait immédiatement informer tous les officiers et matelots à bord de cet accident et de l’interdiction d’utiliser la nacelle. Ces directives entraient en vigueur à la date même de l’émission du bulletin.

Les membres d’équipage et les officiers ont reçu une formation sur la sécurité à bord qui portait essentiellement sur le respect des procédures de sécurité de la société; cette formation a été donnée à bord de tous les navires sous la direction d’Intership Navigation Company Limited.

Det Norske Veritas Germanischer Lloyd

Le 14 février 2014, Det Norske Veritas Germanischer Lloyd a émis un bulletin d’information d’accident destiné au secteur du transport maritime. Ce bulletin portait sur la convenance du matériel de levage pour transporter le personnel et sur l’importance de vérifier les fonctions de sécurité avant toute opération de levage, notamment les interrupteurs de fin de course de tous les appareils de levage.

Îles Marshall (État du pavillon)

Le 6 février 2014, l’administrateur du navire a envoyé une lettre à Intership Navigation Company Limited pour faire part des recommandations suivantes :

L’État du pavillon a mené une enquête sur cet événement et a communiqué ses conclusions au personnel de l’administrateur responsable des inspections des navires de l’État du pavillon. On a également recommandé des vérifications ponctuelles de la conformité aux permis de travail à bord pour les travaux en hauteur ou par-dessus le bastingage.

Le présent rapport met un terme à l’enquête du Bureau de la sécurité des transports du Canada (BST) sur cet événement. Le Bureau a autorisé la publication du rapport le . Il est paru officiellement le .

Annexes

Annexe A – Vue partielle du côté tribord du Federal Yoshino

Ampleur de l'usure des élingues en nylon, décrit au-dessus
Note : La grue de charge bâbord et la grue tribord se trouvent sur les côtés opposés du navire, mais sont alignées sur un axe transversal dans cette illustration.
Source : Photo du dessin de disposition général du navire prise par le BST; les légendes ont été ajoutées par le BST.

Annexe B – Carte du lieu de l’événement

Annexe C – Grue de charge bâbord

Annexe D – Vue en plan de l’endroit de l’événement

Annexe E – Poulie de la grue

Annexe F – Permis de travail de l’ajusteur pour les travaux en hauteur, les 6 et 7 mai [en anglais seulement]

Remarque : Pour protéger la vie privée des personnes, le Bureau de la sécurité des transports (BST) a masqué les noms qui figuraient sur cette liste de vérification.

Annexe G – Bulletin de sécurité et sûreté de la société [en anglais seulement]