Language selection

Rapport d'enquête aéronautique A08A0095

Panne moteur et collision avec le relief
du de Havilland DHC-2 MK 1 (Beaver) C-FPQC
exploité par Labrador Air Safari (1984) Inc.
à 70 nm à l'est de Schefferville (Québec)
Schefferville (Québec)
le



Le Bureau de la sécurité des transports du Canada (BST) a enquêté sur cet événement dans le but de promouvoir la sécurité des transports. Le Bureau n’est pas habilité à attribuer ni à déterminer les responsabilités civiles ou pénales. Le présent rapport n’est pas créé pour être utilisé dans le contexte d’une procédure judiciaire, disciplinaire ou autre. Voir Propriété et utilisation du contenu.

Résumé

Vers 8 h 13, heure avancée de l'Atlantique, le de Havilland DHC-2 (Beaver) sur flotteurs (immatriculé C FPQC, numéro de série 873) exploité par Labrador Air Safari (1984) Inc., décolle du lac Crossroads (Terre-Neuve-et-Labrador) avec à son bord le pilote et six passagers. Quelque trois minutes après le décollage, pendant la montée initiale, le moteur tombe brusquement en panne alors que l'appareil se trouve à quelque 350 pieds au-dessus du sol et vole à une vitesse-sol d'environ 85 mi/h. Le pilote amorce un virage à gauche et, peu après, l'hydravion s'écrase dans une tourbière. Le pilote et quatre des passagers subissent des blessures graves; les deux autres passagers subissent des blessures légères. L'hydravion subit des dommages importants, mais aucun incendie ne se déclare après l'impact. Les forces d'impact entraînent le déclenchement de la radiobalise de repérage d'urgence (ELT).

Renseignements de base

Le pilote possédait la licence et les qualifications nécessaires au vol et en vertu de la réglementation en vigueur. Le pilote avait commencé à travailler pour Labrador Air Safari (1984) Inc. en juin 2008 et il avait reçu la formation d'entreprise requise sur le Beaver. Au moment du vol ayant mené à l'accident, le pilote totalisait 7885 heures de vol, dont quelque 1000 heures sur type. Depuis qu'il avait pris ses fonctions en juin 2008, il avait effectué 152 décollages et amerrissages dans la région et à proximité de la région où est survenu l'accident.

Les dossiers indiquent que l'appareil était certifié, équipé et entretenu conformément à la réglementation en vigueur et aux procédures approuvées. La masse et le centrage de l'appareil se trouvaient dans les limites prescrites.

Le 12 juillet 2008, lors d'un vol local, l'indication de pression d'huile du moteur avait chuté au-dessous de la pression normale de 75 lb/po² pour varier entre 50 et 75 lb/po². Toutes les autres indications du moteur, notamment la quantité d'huile, avaient été normales, y compris le bruit du moteur. Le pilote avait communiqué avec le service de maintenance de la compagnie pour discuter du problème. On avait soupçonné que le problème était dû à un indicateur de pression d'huile défectueux. Il avait été entendu que l'hydravion se rendrait à Wabush (Terre-Neuve-et-Labrador) le 14 juillet 2008 pour que le personnel de maintenance vérifie l'indicateur de pression d'huile. Après une consultation téléphonique, le personnel de maintenance avait estimé qu'il n'était pas dangereux d'utiliser l'hydravion en laissant l'indicateur tel quel jusqu'à ce qu'il puisse être vérifié le 14 juillet 2008. Le 13 juillet 2008, le pilote avait effectué deux brefs vols aux commandes de l'hydravion (environ une heure de vol au total). Au cours de ces vols, l'indicateur de pression d'huile avait affiché entre 50 et 75 lb/po². Le jour de l'accident, le pilote était censé déposer quatre clients et deux guides à deux lieux de pêche différents situés non loin de là, avant de se rendre à Wabush.

Il n'y a pas d'installation météorologique officielle près du lac Crossroads. Le 14 juillet 2008, des conditions météorologiques de vol à vue prévalaient sur le secteur; la visibilité était bonne, un vent léger soufflait du sud-ouest, et la température était de quelque 15 °C.

Un récepteur GPS (système de positionnement mondial) Garmin de modèle GPS Map 296 a été récupéré de l'épave. On a extrait les données du GPS et on les a utilisées pour déterminer de façon approximative la trajectoire de vol, le cap, l'altitude et la vitesse-sol de l'hydravion ainsi que l'heure de l'accident.

L'hydravion a décollé vers le sud-sud-est, puis il a fait un virage à droite pour prendre un cap nord-ouest tout en poursuivant sa montée (Figure 1).

Figure 1. Carte de la région montrant le trajet du vol ayant mené à l'accident
Figure of Carte de la région montrant le trajet du vol ayant mené à l'accident

En moins de deux minutes, le moteur a subi des ratés avant de s'arrêter brusquement. Le pilote a d'abord incliné l'hydravion à droite, puis il a amorcé un virage à gauche vers une tourbière en bordure d'un petit étang qu'il venait juste de survoler. La vitesse a diminué de façon constante à mesure que l'hydravion perdait de l'altitude et que le taux de descente augmentait. Pendant le virage à gauche, le cap de l'hydravion a varié de quelque 130° avant que l'appareil percute la surface de la tourbière.

Des photos de l'épave, des dommages à l'hydravion et des marques d'impact, prises par différentes sources, ont été analysées pour déterminer la géométrie de l'impact. Au moment de l'impact initial, l'avion était dans un piqué de quelque 30° et était incliné à gauche de quelque 30°.

Photo 1. Vue de l'avion après l'accident
Photo of Vue de l'avion après l'accident

La force de l'impact a été suffisante pour causer des dommages structuraux importants au bâti moteur, aux capots, à l'aile gauche et aux deux flotteurs. La tourbière a amorti le choc et limité les dommages et a également permis au Beaver de rebondir au-delà du point d'impact initial, soit jusqu'à la position illustrée sur la Photo 1. Les forces d'impact ont été suffisamment importantes pour causer des blessures graves à certains passagers.

L'hydravion était muni de ceintures sous-abdominales et de ceintures-baudriers. Le pilote portait uniquement sa ceinture sous-abdominale; il n'avait pas l'habitude de porter sa ceinture baudrier. Le pilote a subi des blessures graves à la tête. Les exigences réglementaires concernant l'utilisation des ceintures de sécuritéFootnote 1 des membres d'équipage sont publiées au paragraphe 605.27(1) du Règlement de l'aviation canadien (RAC). Dans les présentes circonstances, le RAC exigeait l'utilisation des ceintures de sécurité au décollage et à l'atterrissage. La non utilisation des ceintures-baudriers a été notée comme facteur contributif à la gravité des blessures des occupants dans de nombreux rapports d'enquête du BST, notamment dans les rapports A94P0231, A06W0104, A07P0209, A07Q0014 et A08A0007.

L'hydravion était équipé d'une radiobalise de repérage d'urgence (ELT) NARCO de modèle 10, laquelle s'est déclenchée à l'impact. Un passager a utilisé un téléphone satellitaire pour communiquer avec le camp de pêche qui a transmis les coordonnées GPS au Centre conjoint de coordination des opérations de sauvetage.

L'hydravion a été récupéré puis transporté jusqu'aux installations de l'exploitant à Baie-Comeau (Québec) où un enquêteur du BST l'a examiné. Il a été établi qu'il n'y avait aucune anomalie quant à l'intégrité des conduites d'alimentation en huile. On a déposé le filtre à huile du moteur et on n'y a trouvé aucun débris. On a récupéré quelque 4,5 gallons d'huile du moteur et du réservoir d'huile. Lorsqu'on a retiré le bouchon de vidange du carter du moteur, on a trouvé une importante quantité de débris métalliques. Le moteur a été envoyé au Laboratoire technique du BST pour y être démonté et examiné.

L'hydravion était équipé d'un moteur en étoile Pratt & Whitney (P&W) R985 AN14B à neuf cylindres, qui avait été révisé puis installé le 23 mai 2008Footnote 2. La plus récente révision avait été effectuée le 28 avril 2008 par une installation de révision approuvée. Au moment de l'accident, le moteur totalisait quelque 88 heures de fonctionnement. Une inspection aux 100 heures avait été effectuée le 4 juillet 2008 alors que le moteur totalisait quelque 71 heures de vol. Aucune anomalie dans le circuit de lubrification du moteur n'avait été décelée. Lors de l'inspection, on avait vidangé l'huile minérale utilisée pour le rodage du moteur afin de la remplacer par cinq gallons d'huile Aeroshell W100Footnote 3.

Toutes les bielles et tous les manchons des axes de liaison se sont rompus à l'extrémité de fixation de l'axe de liaison de la bielle maîtresse, et tous ces composants présentaient des signes de lubrification insuffisante. Les bouchons en aluminium des axes de liaison (numéro de pièce 39749)Footnote 4 , habituellement installés à l'intérieur des axes de liaison pour sceller le passage de l'huile et assurer une lubrification appropriée du vilebrequin et des composants connexes, n'avaient pas été installés à l'intérieur des axes de liaison, et ils n'ont pas été retrouvés dans les débris récupérés. L'analyse métallurgique des débris récupérés n'a permis d'établir aucune preuve concrète de la présence d'un matériau provenant d'un bouchon d'axe de liaison. On n'a décelé aucune trace importante d'aluminium dans la partie filetée des axes de liaison, et rien n'indiquait que les bouchons des axes de liaison avaient fondus pendant le fonctionnement du moteur ou la panne catastrophique. Le roulement de la bielle maîtresse a été extrudé par les orifices de lubrification de la bielle maîtresse et a obstrué les orifices en question, et on a découvert que les huit orifices de lubrification du roulement du maneton de la bielle maîtresse étaient obstrués par le matériau dont est constitué le roulement. L'obturation de ces orifices aurait empêché l'huile de circuler du maneton aux axes de liaison et aux manchons de ces derniers, en passant par la bielle maîtresse.

La documentation sur le moteur exige que la pression d'huile minimale soit de 50 lb/po² et que la pression d'huile maximale soit de 100 lb/po². La plaque signalétique du moteur indique que la pression d'huile minimale en croisière est de 70 lb/po². Le manuel de vol du Beaver indique que la pression d'huile doit se trouver dans la plage de fonctionnement comprise entre 50 et 100 lb/po², et entre 70 et 90 lb/po² (zone verte) pendant un fonctionnement continu avec mélange riche (Figure 2). Le manuel de vol indique que si la pression d'huile se trouve dans la plage d'avertissement jaune, il y a risque de danger dans certaines conditions. Il n'y a pas de marques sur l'indicateur de pression d'huile pour indiquer la plage jaune. Le manuel de vol ne fournit aucune consigne écrite aux pilotes sur les mesures à prendre lorsque l'indicateur affiche une pression d'huile du moteur en dehors de la zone verte.

Figure 2. Indicateur de pression d'huile
Figure of Indicateur de pression d'huile

Les constructeurs d'aéronefs considèrent la zone verte de l'indicateur d'un instrument comme la plage normale de fonctionnement. Cependant, d'après les pratiques de l'industrie, on considère qu'un avion Beaver équipé d'un moteur Pratt & Whitney R985 peut être exploité en toute sécurité tant que la pression d'huile du moteur est comprise entre 50 et 100 lb/po², c'est-à-dire, entre les deux zones rouges de l'indicateur de pression d'huile.

Le manuel de vol du Beaver indique que la vitesse de décrochage volets rentrés est de 60 mi/h et que la vitesse de décrochage volets sortis pour l'atterrissage est de 45 mi/h. Les procédures d'urgence dans le manuel de vol stipulent que si une panne moteur survient immédiatement après le décollage, le pilote doit immédiatement abaisser le nez de l'appareil pour maintenir une vitesse de 65 mi/h, continuer droit devant et changer de direction le moins possible dans le seul but d'éviter les obstacles en utilisant uniquement le gouvernail de direction. Le manuel de vol renferme également les mises en garde suivantes :

[Traduction]

Ces consignes qui figurent dans le manuel de vol du Beaver sont cohérentes avec la norme de formation des pilotes décrite dans le Manuel de pilotageFootnote 5 de Transports Canada, laquelle stipule ce qui suit dans sa procédure générique à suivre en cas de panne moteur après le décollage :

Abaisser le nez de l'aéronef pour garder la vitesse de vol plané. Atterrir droit vers l'avant, ou modifier la trajectoire légèrement pour éviter les obstacles.

Pour ce qui est de la tentative de demi-tour vers une piste ou une aire d'atterrissage lorsque l'altitude est insuffisante, le Manuel de pilotage renferme la mise en garde suivante :

On compte de nombreux exemples de blessures ou de mortalités dans les accidents résultant d'un demi-tour pour se poser sur la piste de l'aérodrome après une panne de moteur suivant le décollage. Comme l'altitude est critique, on a alors tendance à essayer de garder le nez de l'aéronef relevé pendant le virage sans tenir compte de la vitesse et du facteur de charge.

Analyse

Lors de la révision du moteur, les bouchons des axes de liaison n'avaient pas été installés à l'intérieur des axes de liaison. Au cours des 90 heures qui ont suivi la révision du moteur, l'absence de bouchons des axes de liaison a permis une réduction de la pression d'huile dans le roulement de la bielle maîtresse et l'interface du maneton, ce qui a provoqué une augmentation de la chaleur due au frottement et a accéléré l'usure ainsi que le grippage du matériau dont est fabriqué le roulement, ce qui s'est traduit par une lubrification insuffisante des composants critiques du moteur.

Dans le cas d'un moteur qui fonctionne normalement, l'huile qui circule dans le circuit de lubrification du moteur est acheminée à travers le filtre à huile qui intercepte alors tous les débris ou contaminants. L'examen du moteur n'a révélé aucun débris dans le filtre à huile du moteur, ce qui indique que le moteur a subi une panne catastrophique en raison d'une lubrification insuffisante des manchons des axes de liaison.

Le manuel de vol du Beaver et les consignes de pilotage mentionnent que le pilote doit maintenir une vitesse de sécurité pour assurer une maîtrise parfaite de l'hydravion en abaissant le nez de l'appareil et en atterrissant droit devant. Pendant l'approche en vue de l'atterrissage forcé, l'hydravion a fait un virage de quelque 130°. Cette décision a été prise par le pilote dans l'espoir de trouver une aire d'atterrissage plus appropriée que le relief qui se trouvait droit devant lui.

Pendant le virage, la vitesse de l'hydravion a diminué et ce dernier est entré en décrochage aérodynamique à une hauteur insuffisante pour permettre une sortie de décrochage. Cette situation s'est traduite par une descente rapide et par un violent impact avec la surface de la tourbière. Si le pilote avait suivi les directives figurant dans le manuel de vol du Beaver et s'était dirigé droit devant, tout en maintenant une vitesse de vol de sécurité, l'atterrissage en catastrophe aurait peut être été moins violent.

Les pratiques de l'industrie font en sorte que la zone verte (70 à 90 lb/po²) de l'indicateur de pression d'huile est habituellement décrite comme la plage de fonctionnement de sécurité. Cependant, un avion Beaver équipé d'un moteur Pratt & Whitney R985 peut être exploité tant que la pression d'huile du moteur est comprise entre 50 et 100 lb/po², autrement dit, entre les deux zones rouges de l'indicateur. Si un pilote croit que la pression d'huile est trop basse pendant que le fonctionnement du moteur donne une indication se situant en dehors de la zone verte, cette incohérence avec les pratiques de l'industrie peut engendrer de la confusion et donner lieu à des atterrissages intempestifs.

Si le pilote avait porté sa ceinture-baudrier, il aurait probablement subi des blessures moins graves.

L'enquête a donné lieu aux rapports de laboratoire suivants :

On peut obtenir ces rapports en s'adressant au Bureau de la sécurité des transports du Canada.

Faits établis

Faits établis quant aux causes et aux facteurs contributifs

  1. Les bouchons des axes de liaison n'avaient pas été installés sur le moteur récemment révisé, ce qui s'est traduit par une lubrification insuffisante des manchons des axes de liaison, par une augmentation de la chaleur et, finalement, par une brusque panne moteur.
  2. Immédiatement après la panne moteur, alors que le pilote manœvrait pour faire un atterrissage forcé, l'hydravion est entré en décrochage aérodynamique à une hauteur insuffisante pour permettre une sortie de décrochage.

Fait établi quant aux risques

  1. La non-utilisation des ceintures-baudriers disponibles augmente le risque de blessures et la gravité des blessures.

Le présent rapport met un terme à l'enquête du Bureau de la sécurité des transports du Canada (BST) sur cet événement. Le Bureau a autorisé la publication du rapport le .