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Rapport d'enquête aéronautique A96O0196

Pertes d'espacement
entre le de Havilland DHC-8-301 C-GUON
d'Air Ontario et le DC-10-30 C-GCPI
des Lignes aériennes Canadien International
et entre l'Airbus A320-211 C-FDSN
d'Air Canada et l'Airbus A320-211 C-FLSI
des Lignes aériennes Canadien International
Aéroport international de Toronto/Lester B.
Pearson (Ontario)



Le Bureau de la sécurité des transports du Canada (BST) a enquêté sur cet événement dans le but de promouvoir la sécurité des transports. Le Bureau n’est pas habilité à attribuer ni à déterminer les responsabilités civiles ou pénales. Le présent rapport n’est pas créé pour être utilisé dans le contexte d’une procédure judiciaire, disciplinaire ou autre. Voir Propriété et utilisation du contenu.

Résumé

Vers 13 h 9, heure avancée de l'Est (HAE), un de Havilland DHC-8 (ONT331) d'Air Ontario a été autorisé à se positionner sur la piste 24 droite (24R). Dans la minute qui a suivi, il y a eu perte d'espacement lorsqu'un Douglas DC-10 (CDN02) des Lignes aériennes Canadien a été autorisé à se poser sur la même piste. Vers 13 h 34, il y a eu une seconde perte d'espacement lorsque le même contrôleur a autorisé un Airbus A320 (ACA127) d'Air Canada à se positionner sur la piste 24R avant d'autoriser un peu plus tard un Airbus A320 (CDN962) des Lignes aériennes Canadien à se poser sur la piste 24R. Dans les deux cas, les avions à l'atterrissage ont reçu l'ordre d'effectuer une remise des gaz, ce qu'ils ont fait en toute sécurité.

Renseignements de base

Le contrôleur de la tour occupait les postes de contrôle tour-nord et tour-sud qui avaient été regroupés. À 13 h 8 min 51Note de bas de page 1, le contrôleur a autorisé ONT331 à se positionner sur la piste 24R. À 13 h 9 min 37, il a transmis les instructions de contrôle à l'équipage. Il n'a pas inclus l'autorisation de décollage dans son message. L'équipage de conduite de ONT331 a apparemment essayé de contacter le contrôleur pour savoir s'il avait bel et bien été autorisé à décoller mais, au même moment, le contrôleur parlait à l'équipage d'un autre avion à l'atterrissage sur la piste 24 gauche (24L), et le contrôleur n'a pas entendu le message en provenance de ONT331. Ce message n'a pas été enregistré. Quand le contrôleur a autorisé CDN02 à se poser, il a remarqué que ONT331 ne partait pas, et il a dit à l'équipage que son autorisation de décollage était valable tout de suite. Comme CDN02 approchait du seuil de la piste 24R, le contrôleur a annulé l'autorisation de décollage de ONT331 et a ordonné à CDN02 de remettre les gaz.

À 13 h 32, le contrôleur a autorisé ACA127 à se positionner et à attendre sur la piste 24R. Une minute plus tard environ, alors qu'ACA127 attendait toujours, le contrôleur a autorisé CDN962 à se poser sur la piste 24R. Pendant l'approche, l'équipage de CDN962 a signalé par radio à la tour qu'il y avait un avion sur la piste. Le contrôleur a immédiatement ordonné à CDN962 de remonter et faire une remise des gaz.

Lors du premier incident, le chef de quart faisait une pause-repas; il y avait toutefois une personne qui le remplaçait, et celle-ci a remarqué que ONT331 n'était pas parti et que CDN02 avait reçu l'ordre de remettre les gaz. Le contrôleur ainsi que le chef de quart intérimaire pensaient tous deux que ONT331 avait reçu l'autorisation de décoller avant que CDN02 n'ait été autorisé à se poser, et que ONT331 avait trop tardé à décoller. Lors du second incident, le contrôleur occupait uniquement le poste de contrôle tour-nord, et le chef de quart occupait le poste de délivrance des autorisations. Les effectifs au moment des deux incidents étaient conformes aux politiques de l'unité.

Photo 1. Plan de l'aéroport
Plan de l'aéroport

Le jour des incidents, le contrôleur en cause, après avoir autorisé un avion à se positionner sur une piste en service, faisait glisser un peu sur le côté la fiche de progression de vol de l'avion de manière que la fiche dépasse du porte-fiche. Toutefois, par la suite, il a dû manipuler des fiches de progression de vol de diverses largeurs, et certaines pouvaient glisser facilement sur le côté du porte-fiche tandis que d'autres glissaient très difficilement. C'est pourquoi le contrôleur se servait d'un autre aide-mémoire pour les fiches difficiles à faire glisser. Ainsi, quand il avait du mal à faire glisser une fiche, il sortait le porte-fiche partiellement en dehors de la console où était fixé le porte-fiche. Il n'a pas été possible de déterminer quelle méthode avait été employée au cours du premier incident. Dans le cas du second incident, le contrôleur n'avait pas réussi à faire glisser la fiche de progression de vol de ACA127 parce que la fiche était trop large et qu'elle était difficile à manipuler. Lors du second incident, le contrôleur ne s'est servi d'aucun aide-mémoire visuel. Bien que le contrôleur de la tour ait balayé du regard le seuil de la piste 24R avant d'autoriser CDN962 à se poser, il n'a pas établi le contact visuel avec ACA127. Les conditions météorologiques signalées au moment des deux incidents étaient les suivantes : vents du 360 degrés à 5 noeuds, visibilité de 2 milles dans des averses de pluie et de la bruine, et nuages dont la base se trouvait à 700 pieds au-dessus du sol. Le seuil de la piste 24R se trouve à un mille et demi environ de la tour de contrôle. Parmi les facteurs qui peuvent empêcher les contrôleurs de voir les avions au seuil de piste, mentionnons le nombre et les types d'avions en attente de décollage sur les voies de circulation B, H et A ainsi que la visibilité du moment. Dans les présentes circonstances, la couleur sombre de ACA127 est un facteur supplémentaire. Des témoins dans la tour au moment du second incident ont déclaré qu'ACA127 était relativement difficile à voir au seuil de la piste 24R.

La tour de contrôle est équipée d'écrans qui affichent les renseignements provenant du radar de surveillance des mouvements de surface (ASDE). Selon les contrôleurs de la tour, il arrive parfois que les écrans montrent des échos d'avions qui n'existent pas ou ne montrent pas les échos d'avions bel et bien en place à l'extrémité de la piste 24R. Les enquêteurs ont pu observer certaines de ces anomalies pendant qu'ils étaient sur les lieux des incidents pour faire l'enquête. Les contrôleurs ont déclaré avoir vérifié l'écran ASDE après la seconde perte d'espacement et s'être aperçus de l'absence d'écho de ACA127.

Le contrôleur en cause dans les incidents a déclaré qu'il n'avait dormi que deux heures la nuit précédant les incidents et que plusieurs des nuits précédentes avaient été semblables. Il a déclaré qu'il savait qu'il était fatigué avant de prendre son service, mais qu'il avait jugé qu'il était en mesure de s'acquitter de ses fonctions. Un manque de sommeil important peut avoir des conséquences néfastes sur le rendement d'une personne; notamment le niveau de vigilance peut diminuer, la qualité de la mémoire peut se dégrader pendant le travail, les erreurs de communication peuvent augmenter. Les personnes, et notamment celles qui sont somnolentes, ne se rendent souvent pas compte de leur véritable niveau de fatigue, de vigilance ou de rendement.

Analyse

Dans le cas du premier incident, le contrôleur a autorisé ONT331 à attendre sur la piste 24R et ne lui avait toujours pas donné une autorisation de décollage quand il a autorisé CDN02 à se poser. Le contrôleur pensait avoir donné à ONT331 une autorisation de décollage et il attendait que l'équipage commence sa course au décollage tandis que l'équipage attendait de recevoir son autorisation. Le contrôleur d'aéroport ainsi que le chef de quart intérimaire pensaient tous deux que ONT331 avait reçu son autorisation de décoller avant le premier incident; c'est pourquoi ils ne se sont pas rendu compte qu'un événement important et anormal s'était produit. C'est pourquoi le contrôleur n'a pas été prié de quitter son poste opérationnel.

Dans le cas du second incident, le contrôleur a autorisé ACA127 à se positionner sur la piste en service et a oublié de délivrer l'autorisation de décollage. Il a également oublié de se servir de son aide-mémoire visuel, ou il n'a pu le faire, peut-être parce que la fiche de progression de vol était difficile à sortir du porte-fiche. Sans aide-mémoire visuel pour lui rappeler que l'avion était en place sur la piste, il a ainsi perdu une façon de se protéger. Il n'a pas établi le contact visuel avec l'avion en position sur la piste quand il a balayé du regard la région concernée. Il se peut que le manque de contraste entre l'avion et l'arrière-plan, la présence d'avions sur une voie de circulation adjacente entre la tour et le seuil, ainsi que les conditions météorologiques, conjugués au manque d'indices pour rappeler au contrôleur l'autorisation qu'il avait accordée, aient fait oublier au contrôleur qu'il avait autorisé l'avion à se positionner sur la piste en service. Il est aussi probable que l'ASDE n'affichait pas d'écho pour ACA127.

Les contrôleurs en poste au moment des faits ont déclaré que la présence d'avions sur la voie de circulation adjacente, la visibilité réduite et la couleur prédominante de l'avion qui se fondait dans l'arrière-plan rendaient ACA127 difficile à voir au seuil de piste. Bien que l'aéroport possède un ASDE et que les contrôleurs disposent d'écrans pour en surveiller les échos, l'emplacement et les particularités du radar font que ce dernier a tendance à présenter des renseignements erronés ou trompeurs ou à ne pas présenter de renseignements du tout. Les contrôleurs sont conscients de ces caractéristiques et il est certain que, dans le cas du second incident, le manque de renseignements a probablement constitué une lacune importante. Au moment du second incident, le chef de quart travaillait au poste de délivrance des autorisations; c'est pourquoi il ne pouvait pas s'acquitter de ses tâches de surveillance.

Il est fort probable que le contrôleur était fatigué parce que depuis plusieurs nuits ses cycles de sommeil avaient été plus courts et de mauvaise qualité. Le fait que le contrôleur pensait à tort avoir autorisé ONT331 à décoller et le fait qu'il a oublié qu'il avait autorisé ACA127 à se positionner au seuil de la piste 24R, semblent être attribuables à ce sommeil de mauvaise qualité. De plus, même s'il se sentait fatigué avant de prendre son service, le contrôleur se croyait tout de même capable de s'acquitter de ses fonctions. La décision prise par le contrôleur est typique d'une personne qui ressent les effets de la fatigue. ll arrive souvent que les personnes fatiguées ne se rendent pas compte de leur véritable niveau de fatigue, de vigilance ou de rendement.

Faits établis

  1. Les effectifs de la tour étaient conformes aux politiques de l'unité.
  2. Le contrôleur manquait de sommeil et était fatigué.
  3. Dans le cas du premier incident, le contrôleur de la tour occupait les postes de la tour-nord et de la tour-sud qui avaient été regroupés.
  4. Le contrôleur de la tour savait qu'il avait autorisé ONT331 à se positionner sur la piste 24R.
  5. Le contrôleur de la tour a cru à tort qu'il avait autorisé ONT331 à décoller de la piste 24R.
  6. CDN02 a été autorisé à se poser sur la piste 24R sans que l'espacement avec ONT331 ne soit assuré.
  7. Le contrôleur a oublié qu'il avait autorisé ACA127 à se positionner sur la piste 24R.
  8. Les contrôleurs n'utilisent pas tous la même méthode pour se rappeler qu'ils ont autorisé un avion à se positionner sur une piste en service.
  9. Le contrôleur de la tour n'a eu recours à aucun aide-mémoire visuel pour se rappeler qu'il avait autorisé ACA127 à se positionner au seuil de la piste 24R.
  10. Au moment du second incident, le chef de quart occupait le poste de délivrance des autorisations.
  11. ACA127 était difficile à voir au seuil de la piste 24R à cause d'un ensemble de facteurs.

Causes et facteurs contributifs

Dans chaque cas, le contrôleur a autorisé un avion à se positionner sur la piste en service avant d'autoriser un autre avion, un peu plus tard, à se poser sur la même piste sans que l'espacement entre l'avion à l'atterrissage et l'avion sur la piste ne soit assuré. Le fait que le contrôleur manquait de sommeil a probablement contribué aux deux incidents.

Le présent rapport met fin à l'enquête du Bureau de la sécurité des transports sur ces incidents. La publication de ce rapport a été autorisée le par le Bureau qui est composé du Président Benoît Bouchard et des membres Maurice Harquail, Charles Simpson et W.A. Tadros.